Un seul intérieur drafté dans le top 15 de la dernière cuvée en la personne d’Evan Mobley, seulement 3 véritables pivots au premier tour entre Alperen Sengun, Kai Jones et Day’Ron Sharpe. C’est peu dire que les grands n’ont pas vraiment la côte ces dernières années en NBA. Entre la réticence du front office des Suns à offrir le max à Deandre Ayton ou le peu d’intérêt qu’a reçu un joueur comme Andre Drummond durant l’été, l’attrait pour les pivots s’amenuît d’année en année.
Malgré tout, des équipes comme Cleveland, Los Angeles ou Milwaukee prennent le problème à l’envers et taillent leur succès sur leurs grands. Est-ce suffisant pour insuffler une « nouvelle » mode durant la prochaine décennie ?
Le Small Ball, une tendance complexe
Tout d’abord, qu’entendons par « Small Ball » ? Par abus de langage ou simple confusion de ce qu’il se passe sur le terrain, la majorité des observateurs tendent à confondre la pratique du Small Ball avec, comme son nom l’indique, le fait de placer un poste 5 beaucoup plus petit de ce qu’on a l’habitude de voir dans la compréhension classique du basket. La tendance est donc de crier au Small Ball dès lors qu’un poste 4 classique se trouve être le plus grand sur le terrain.
Cette pratique, qui a explosé durant la deuxième partie des années 2010, se réfère à trois axes principaux :
- La tendance à tirer à 3 points
Cet axe est ce qui pousse les coachs NBA à préférer un forward adroit plutôt qu’un pivot classique sur le terrain. Écarter les espaces est devenu essentiel pour favoriser un jeu de plus en plus héliocentré autour de joueurs extérieurs ball-dominant qui ont besoin de lignes de drives franches. On peut voir sur le graphique suivant l’importance prise dans les tirs à trois points à partir de la décennie 2010.
- La taille des créateurs
LeBron James, Ben Simmons, Draymond Green ou Luka Doncic, autant de joueurs qui n’ont absolument pas le physique de meneurs de jeu classiques, mais qui en remplissent bien les fonctions sur le terrain. Si on rajoute à cela les ailiers qui dominent par leurs facultés créatives en Leonard, Durant, George ou Tatum, le rôle des petits créateurs diminue et c’est tout un effectif qui s’en voit bousculé.
- Être capable de switcher sur tout
On pense souvent que la nouvelle utilisation du tir à 3 points a poussé les pivots en dehors des rotations. Pour autant, ces grands ont fait de vrais efforts pour s’adapter au jeu contemporain comme on le voit sur le graphique suivant qui nous montre la prise de tirs primés pour les joueurs de plus de 2.08m.
Ce qui pousse les grands en dehors des terrains, c’est leur incapacité de défendre sur tous les joueurs d’en face. Avec cette tendance à favoriser le rythme rapide, le shoot et la création autour des stars, les line up se rapetissent et les grands se retrouvent à défendre sur des joueurs bien trop rapides. Cela provoque inexorablement des décalages monstrueux.
L’objectif des coachs est de favoriser l’assise défensive de leur équipe en permettant à chaque joueur de défendre sur tout type d’attaquant sans se faire cibler en retour.
Une stratégie payante ces dernières années
Lorsque l’on regarde en détail ces axes, on remarque immanquablement l’influence des Warriors de Golden State de la deuxième moitié de la décennie : un guard dominant qui profite des switchs avec Curry ; des shooters dans tous les coins avec Thompson et Barnes (puis Durant) ; un « grand » créateur en Draymond Green et le fameux death line up en alignant ce même Green au poste 5 pour switcher à tout va.
C’est sur ce principe que Daryl Morrey a tenté son coup de poker d’ultra Small Ball en 2020 avec un cinq Westbrook, Harden, House Jr, Covington et Tucker.
Devant le succès retentissant des joueurs de la Baie, ce Small Ball est devenu monnaie courante en NBA et continue de perdurer aujourd’hui. On l’a vu lors des derniers playoffs où Tyronn Lue, face aux problèmes de son Pivot Ivica Zubac, a décidé d’y recourir outrageusement. Le pivot croate est un super joueur NBA, mais se faisait cibler par la star slovène de Dallas sur chaque action où sa mobilité ne lui permettait pas de rester face à Doncic. Lue a préféré l’échanger avec Nicolas Batum, ce qui a été la stratégie payante pour renverser la série.
Ce détail n’est qu’un exemple parmi tant d’autres aujourd’hui. Les Hornets jouent majoritairement avec un PJ Washington de 2m01 en pivot pendant que les champions de Milwaukee profitent du physique de leur ailier grec en Giannis Antetokounmpo pour parfois le dresser en poste 5 en fin de rencontre.
Ces options sont restées ancrées dans les rotations NBA. La principale conclusion de cette tendance est de voir la popularité et donc la présence des ailiers polyvalents sur les terrains ou les coachs n’hésitent pas à jouer avec trois voir quatre forwards en même temps :
- Les Clippers de Leonard, George, Morris et Batum
- Les Nets de Durant, Harris et Bembry/ Brown
- Les Celtics de la doublette Jaylen Brown / Jayson Tatum
- Les Raptors du trio Barnes / Anunoby / Siakam
Autant d’exemples qui montrent que le jeu a changé au grand désespoir des grands, ces mêmes grands qui font pourtant l’essence du basketball, mais cela est-il vraiment vrai ?
Le Tall Ball n’est-il pas en réalité sur le point de devenir la nouvelle mode en NBA pour s’y imposer durablement.
Effectivement, n’est pas Golden State qui veut, son option du « Small Ball » n’est pas reproductible à souhait. Depuis son dernier titre, on remarque d’ailleurs que c’est une vision bien plus « classique » des positions qui s’est affirmée :
- Des Raptors de la doublette d’intérieurs Siakam/ Gasol en 2019
- Des Lakers forts d’un Anthony Davis en poste 4 épaulé par Mcgee ou Howard
- Des Bucks d’un MVP ailier fort accompagné d’un pivot ancien All-Star en Lopez
L’émergence du Tall Ball
Faut-il y voir ici un changement de mode ou de simples exceptions ? On remarque aujourd’hui que de nombreuses franchises réhabilitent le « Tall Ball », et ceux pour diverses raisons :
Doubler les intérieurs « forts défenseurs »
De plus en plus d’équipes se permettent de jouer avec une doublette d’intérieurs en raison de la polyvalence de leur poste 4. Ce même poste 4 qui jouerait 100% pivot dans un dispositif « small ball ».
On voit notamment ce cas de figure à Memphis ou encore à Orlando. Du côté des Grizzlies, on profite allégrement de la polyvalence défensive impressionnante de Jaren Jackson aux côtés d’Adams et de sa fiabilité à 3 points. Pour le Magic, J. Mosley n’a pas hésité à jouer le tandem Carter Jr. / Bamba avec comme possibilité de faire défendre le premier sur de plus petits gabarits.
Protéger les postes 4 « faibles défenseurs »
Contrairement au cas de figure précédent, certains coachs oublient l’idée du Small Ball en raison de la faiblesse défensive affichée de leur ailier fort, ainsi incapables de jouer poste 5. Certains joueurs comme Porzingis, Randle ou Williamson pourraient poser d’énormes soucis au poste 5 adverses par leur vitesse, shoot et puissance près du cercle. Malgré tout, leurs coachs respectifs sont obligés de les associer à un poste 5 fort en défense en guise de cache-misère.
Alléger la charge des ailiers stars
Certains ailiers forts dominent tellement la scène que l’on pourrait les imaginer jouer au poste 5 et ainsi poser encore plus de soucis aux défenses adverses. On pense ici aux Bucks d’Antetokounmpo ou aux Lakers d’Anthony Davis. Des joueurs auxquels on combine envergure, taille et puissance créée alors des ravages dans un dispositif « Small Ball ». Malgré tout, les coachs décident souvent de les associer à un second « grand » pour les soulager du combat intense des raquettes NBA et ainsi les sauvegarder pour le secteur offensif.
Les Cleveland Cavaliers, symbole de ce renouveau de la grande ligue
Si de plus en plus de spécialistes abordent cette question du Tall Ball, JB Bickerstaff y est pour beaucoup. Restant fermé aux critiques de l’été sur le trop grand nombre d’intérieurs de son effectif, le coach a réussi à imposer un système efficace où se croisent trois joueurs de plus de 2m10 dans son cinq majeur.
Si on regarde la saison des Cavaliers version 2021-22, trois facteurs expliquent le succès des joueurs de l’Ohio :
Le premier détail qui saute aux yeux des observateurs NBA reste leur raquette : un duo composé d’Evan Mobley et Jarrett Allen, respectivement mesurés à 2m13 et 2m11. Bien loin des standards habituels du poste 4 en NBA, le rookie Mobley fait sensation par sa capacité à jouer aux côtés de son compère pivot prolongé pour 100 millions de dollars cet été.
Avec ses Twin Towers, les Cavs sont passés de 25e défense de NBA l’an dernier à la deuxième place avec seulement 101.4 points encaissés par match. En alignant ses deux grands, JB Bickerstaff se permet de profiter de la protection de cercle d’Allen, mais aussi de la polyvalence défensive hallucinante de son rookie. Ce dernier impressionne comme rarement. Il aligne protection de cercle, longueur de bras, QI défensif, vitesse de pieds et une mobilité peut-être jamais vue pour un intérieur aussi jeune. Cleveland est l’équipe qui terrorise le plus chaque raquette NBA. Ils sont 3e meilleur rating défensif de la ligue avec une évolution de -10% de tentative à deux points pour les adversaires par rapport à l’an dernier. Le duo du futur de l’Ohio est grand et vise les sommets.
En signant Markkanen lors de l’intersaison, beaucoup se questionnaient sur son utilisation. De nouveau, le coach en a surpris plus d’un en le plaçant à l’aile. 2m13 sous la toise, le finlandais se sent comme un poisson dans l’eau en poste 3. En attaque, Markkanen fait ce qu’il sait faire, écarter le terrain grâce à son shoot et se permet de rassurer en défense en étant plus mobile que l’an passé. Avec Kevin Love ou Markkanen voir Dean Wade utilisé à l’aile, tous trois à plus de 2m07, Bickerstaff demande à ses grands ailiers d’être très agressifs.
Chaque soir, les adversaires prennent 4% de rebonds offensifs en moins que l’an dernier dans la raquette des Cavs. Des joueurs grands qui imposent un combat physique permanent et qui respectent une stratégie défensive d’entonnoir vers deux épouvantails.
Un jeu offensif mené par deux génies
Okoro, Markkanen, Allen, Mobley, Love ou encore Wade, autant de joueurs avec des qualités exploitées au mieux par le coach des Cavaliers, mais qui restent incapables de créer, par eux-mêmes, des positions de shoots. Cleveland était 28e attaque de NBA l’an dernier, ils sont aujourd’hui 18e. Loin des top attaques de la ligue, les Cavaliers s’appuient, notamment depuis la blessure de Sexton, sur un duo de meneurs de génies en Garland et Rubio.
Il faut bien comprendre que cette stratégie « Tall Ball » est aujourd’hui un succès en raison du talent à la création de leurs meneurs de jeu. Darius Garland permet à tout ce grand groupe, pas forcément très adroit du côté offensif d’exploiter au mieux son potentiel. De par la progression de sa plaque tournante, candidat MIP sérieux, dépendra la réussite future de ce modèle.
Cleveland met aujourd’hui la lumière sur un modèle qui est en train de faire ses preuves, un Tall Ball qui parvient à fonctionner grâce à deux raisons essentielles : un génie à la création et un duo d’intérieur assez puissant et polyvalent défensivement pour rattraper toute erreur.
Malgré tout, la NBA est à un tournant de la compréhension du jeu, coincée entre deux schémas tactiques. Comme en 2015 avec le succès des Warriors, la réussite des prochaines équipes viendra surement influencer le prochain modèle.
Finalement, c’est peut-être les stars de demain qui détermineront les stratégies à suivre.
La NBA s’est adaptée pour résister au Shaq durant les années 2000et s’est ensuite tournée vers la vitesse et le tir à trois points avec l’émergence des Curry, Lillard ou Irving.
Avec le retour au premier plan de pivots comme Embiid, Jokic ou Adebayo, l’explosion de pépites comme Mobley ou encore la future arrivée de superstars lors des prochaines drafts comme Chet Holmgren, Jabari Smith, Paolo Banchero ou bien sur Victor Wembanyama, le « Tall Ball » est bien remis sur pied.