Le « roaming » ou comment les meilleurs défenseurs ne défendent plus les meilleurs attaquants

par Florian Tixier

Qu’est-ce qu’un bon défenseur ? Celui capable de contres, celui capable de couper un joueur de la balle ou simplement celui qui décide de s’occuper de la star adverse. Depuis la création des sports collectifs, il est de notoriété publique qu’envoyer son meilleur défenseur sur le meilleur attaquant adverse est la meilleure stratégie possible pour un coach, stratégie aujourd’hui désarçonnée par certaines franchises NBA. Hérésie ou génie ? Explications.

Le roaming du verbe anglais « to roam » que l’on pourrait traduire par errer, vagabonder ou trainer dans.
Ce verbe est aujourd’hui associé à une stratégie défensive qui fait ses preuves depuis des années.
Cette option défensive consiste majoritairement à placer son grand défenseur le plus mobile, verticalement et horizontalement, non pas sur le joueur star mais sur un attaquant faible en l’associant à une zone particulière du terrain.
Cette zone lui permet de défendre son cercle majoritairement mais également de combler chaque brèche de la défense par les aides côté faible : soit l’inverse d’une box and one où 4 joueurs sont en zone, on a ici un seul joueur en « zone » quand le reste défend les meilleurs attaquants adverses.

Jaren Jackson Jr : défenseur de l’année et si loin de la star adverse ?

Jaren Jackson Jr, parmi les favoris DPOY 2023 est l’incarnation de cette stratégie du Roaming actuellement. Comme on le disait dans un article précédent, le retour du block panther a fait passer la défense de Memphis à l’étape supérieure, la plaçant aujourd’hui troisième en defensive rating de toute la ligue.
JJJ fait partie des défenseurs les plus monstrueux et polyvalents de la ligue, avec un statut de meilleur contreur, d’un joueur capable de switcher sur chaque poste, un QI défensif impressionnant et capable d’une surprenante manipulation défensive visuelle et corporelle, c’est une ancre sur laquelle basée une top défense. Son combo taille, longueur, mobilité et timing en font un joueur qu’on rêve de mettre sur la star adverse.

Et pourtant, il ne défend ni sur Steph Curry, Luka Doncic, LeBron James, Giannis Antetokounmpo ou Joel Embiid. Taylor Jenkins serait-il donc fou de se passer d’une arme défensive de destruction massive en l’éloignant de la balle à appliquer ce fameux roaming ?

L’exception JJJ, cadenasser le meneur le plus rapide de la ligue quand on fait 2,10 m. Photo : Brandon Dill

« Errer » dans un quart de terrain, stratégie numéro 1

En quoi consiste donc ce nouveau « cheat code » de la NBA moderne ?

  • Couvrir une zone

Dans un contexte de five out moderne où chaque joueur peut tirer, le plus important pour les défenses NBA est de garder son meilleur contreur le plus proche du cercle pour empêcher tout tir facile. En plaçant ce fameux joueur sur le plus faible shooter adverse, on permet à son intérieur protecteur de cercle de se rapprocher de son cercle tout en exploitant une faiblesse de l’attaque adverse, on se retrouve donc avec son top défenseur sur le plus faible attaquant.

On a notamment vu cette stratégie défensive sur les réseaux lorsque Draymond Green choisissait de laisser Russell Westbrook ouvertement seul au lieu de défendre sur lui.

  • Dissuader les drives

Les drives sont souvent considérés comme l’arme numéro 1 du basket. La pression sur le cercle est ce qui constitue la plus grande attention des défenses de haut niveau où les porteurs de balle comme Morant, Doncic ou James accèdent au cercle facilement en décantant énormément de choses.
Avec JJJ sur leur chemin, placé dans une zone proche du cercle, Memphis dissuade toute tentation d’attaquer le cercle en naviguant en permanence entre le cercle et le ballon.

  • Annihiler la création depuis le poste

Nouvelle arme favorite de NBA avec des grands créateurs comme Sabonis, Sengun ou Jokic, le roaming permet d’en supprimer les effets. En plaçant un joueur de la dimension de Jackson Jr proche du cercle, le terrain se rétrécit naturellement et les espaces disparaissent peu à peu obligeant les créateurs à renverser sans cesse le jeu vers l’autre aile pour faire bouger ce grand épouvantail qui bouge bien vite.

  • Eloigner son protecteur de cercle des pick&roll

Le Pick&Roll est largement utilisé aujourd’hui pour créer des mismatchs et profiter des décalages crées derrière ces différences de calibre entre attaquant et défenseur. Il est donc préférable d’inclure le protecteur de cercle dans le Pick pour l’obliger à défendre loin de sa raquette. Avec le roaming, on permet à Jackson Jr de ne pas être impliqué dans les changements, de « refuser » le pick pour garder sa zone de protection.

  • Pousser les guards à l’agressivité on ball

Surement le facteur qui se voit le plus côté Memphis. Grâce à la mobilité et la protection de cercle de JJJ, des joueurs comme Dillon Brooks se permettent d’être ultra agressifs sur les porteurs de balle tout en étant souvent en sur pression. Le risque d’une telle défense est donc largement amoindri quand on dispose d’une aide extraordinaire derrière soi.

L’art d’être en aide en tant que seconde lame, la force essentielle de Giannis. Photo : BENNY SIEU, USA TODAY SPORTS

Cette stratégie est même favorisée par une règle souvent oubliée en NBA : le cleansing
Alors que la règle des 3 secondes défensives embêtent souvent les protecteurs de cercle, il existe une règle qui permet de rester dans la raquette plus longtemps lorsque son joueur est considéré comme « dangereux » proche du panier.
Le cleansing est donc une stratégie qui permet au défenseur de toucher un attaquant dans la raquette, ce qui lui offre la possibilité de « réinitialiser » ces fameuses 3 secondes, une règle salvatrice pour le roaming qui permet de rester autant que possible dans cette fameuse zone.

Une superpuissance accessible à très peu de joueurs

Le roaming n’est clairement pas accessible à tous les joueurs, on parle de qualités exceptionnelles que seulement quelques NBAers sont en capacité d’assumer :

Un corps très long qui peut couvrir une partie immense du terrain. Un QI défensif au dessus de la moyenne pour comprendre les rotations défensives et voir les aides en avance. Une capacité de déplacement rapide pour leur taille, soit être capable de couvrir le pick&roll tout en revenant sur son joueur en une fraction de seconde, gérer des close out à très haute vitesse etc.. Une réactivité et un timing de contre suffisamment forte pour rattraper chaque erreur sur les drives adverse.

Autant de qualités plus que nécessaires pour endosser une telle responsabilité mais elles sont plus que rares, même dans la meilleure ligue du monde.

Quels joueurs en sont capables ?

Il existe seulement 3 équipes avec un defensive rating autour des 111 points par match, soit les trois top défenses de la ligue : Cleveland, Milwaukee et Memphis.

Coïncidence ou non, ce sont les trois équipes qui utilisent au mieux le roaming avec trois joueurs particulier :

Evan Mobley, Jaren Jackson Jr et Giannis Antetokounmpo

De grands postes 4, immensément longs et mobiles autant capables de switcher sur la majorité des joueurs que de venir en aide pour protéger son cercle. On pourrait également citer les Draymond Green, Al Horford, Anthony Davis ou même le futur rôle de Chet Holmgren ou Jabari Smith du côté des plus jeunes.

Ce profil particulier d’immense poste 4, qui aurait jouer pivot à une autre époque, très bon défenseur se dessine donc naturellement.

Mobley, Chet, Smith Jr : l’arrivée massive de ces joueurs modernes. Photo : Clemente Almanza

La tentation de les faire jouer 5 ?

Dans une époque ou resplendit le small ball et les line up interchangeables, la tentation de faire jouer ces monstres de polyvalence défensive au poste 5, entouré d’ailiers est donc grande mais pourquoi ces équipes ne le font donc pas ?

La grande force du roaming est bien d’éloigner ce défenseur unique des actions le plus possible afin de l’avoir en permanence dans les aides. Si faire jouer Jackson Jr ou Giannis au poste 5 arrive parfois, il reste primordial de leur associer un grand pivot pour les décharger de cette fonction de défenseurs au poste et d’implication dans les pick&roll. Le meilleur poseur d’écrans de chaque équipe se situant souvent au poste 5, avoir un autre joueur capable de gérer le drop et les pick est essentiel pour garder ce poste 4 plus bas sur le terrain capable d’aider et de fortifier une défense.

C’est d’ailleurs le futur rôle que peut attendre Victor Wembanyama en NBA. Loin de le faire jouer pivot, on voit de plus en plus Vincent Collet lui associer un grand intérieur musculeux capable de tenir les postes 5 adverses afin de garder l’alien français dans ce rôle de libéral créateur d’aides et de second rideau.

Que ce soit la domination physique du Shaq ou le tir à trois points de Curry, on parle souvent des révolutions offensives en NBA mais rarement des créations défensives les plus performantes. Dans une époque où les Freaks se multiplient, où les plus forts joueurs semblent venir d’une autre planète, le roaming est en train de s’installer comme une institution clé des meilleures défenses de la ligue.

Photo de couverture : Ned Dishman / NBAE via Getty Images

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