Des derbys aujourd’hui, nous en avons à toutes les sauces. Des rivalités créées de quelques affrontements tendus entre deux formations voisines et tendances du moment. Mais qu’en est-il de ces rivalités historiques qui déchaînent les passions et dépassent les frontières du sport pour n’appartenir plus qu’au peuple que les équipes se doivent de défendre avec ardeur. Le duel opposant le Partizan Belgrade à son homologue de l’Étoile Rouge en est un. Et plus qu’un autre, il est le derby le plus volcanique du continent. Joffrey Lauvergne, ancien joueur du Partizan Belgrade de 2012 à 2014 et actuel intérieur de l’ASVEL, témoigne de cette atmosphère si particulière.
Des origines politiques
Pour saisir le fond de cette rivalité, il faut considérablement remonter le temps. À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, dès 1945, L’Étoile rouge et le Partizan sont fondés. L’Étoile Rouge est fondée le premier, le 4 mars, et représente le Parti communiste de Yougoslavie. Créé le 4 octobre, le Partizan est lui le club de l’Armée populaire yougoslave. Le derby est à l’origine joué sur les terrains de football où sa ferveur semble sans égale.
D’une part, la Grobari (en italien « fossoyeurs »), représente les ultras du Partizan, de l’autre part, Delije (Pluriel de delija, découlant de la période où la Serbie était sous l’Empire ottoman, Delije signifie « brave jeune ») s’approprie l’Étoile Rouge. Le derby, tenant de fortes origines politiques, se conjugue à l’omnisport. La rivalité est très vite présente dans trois sports distincts : le football, le basketball et le waterpolo.
Plus les années avancent, plus la rivalité se renforce sur fond de tensions dans l’ancienne Yougoslavie. Avant le morcellement de la Yougoslavie et la guerre dans les années 90 qui scelleront ce derby comme le plus chaud d’Europe, les deux formations serbes affrontent les meilleures équipes des autres parties du pays. Le Cedevita Zagreb, le Cibona Zagreb, le KK Bosna ou encore le KK Split se dressent comme de grands adversaires. Les équipes de chaque entité de la fédération catalysent le nationalisme de chaque pays.
Durant cette époque entre les années 1970 et 1980, les deux éternels ennemis se constitueront un palmarès conséquent. Intervient donc ensuite la guerre de Yougoslavie (1991-2001), qui obligera même la FIBA à installer le Partizan Belgrade en Espagne à Fuenlabrada un temps.
Des trajectoires différentes, qui se croisent indéniablement
Les deux équipes représentent à merveille l’école du basket serbe. De nombreuses légendes sont recensées dans les deux clubs. Mais les finances des clubs les ont parfois contraints à des saisons plus difficiles. Jusque dans les années 2010, le Partizan quasiment l’intégralité des trophées, s’appuyant souvent sur de très grands talents. En 2014, l’Étoile Rouge retourne en Euroleague, mais son éternel rival fait le chemin inverse. En 2022, les deux rivaux se retrouvent finalement au plus haut niveau européen.
Un derby intemporel, vu par Joffrey Lauvergne
Quand on est joueur d’une des deux équipes, l’engouement est très vite perceptible. « Si ce n’était pas le cas, pour le coup on s’en rend vite compte. Avec le temps, il suffit de rencontrer des gens pour réaliser à quel point il y’a de l’engouement et à quel point c’est important pour les gens » nous raconte Joffrey Lauvergne, passé par le Partizan Belgrade entre 2012 et 2014. Dans ces derbys, toutes les sphères sont impliquées.
De l’employé au président de la République serbe, « tout le monde a un avis sur la question. Tout le monde suit le basket avec passion. Moi par exemple quand je vais en Serbie, c’est très régulièrement que je vais rencontrer le président (Aleksandar) Vučić. Parce qu’il aime le sport. Il est certes plus fan de l’Etoile Rouge, mais le fait que les gens là-bas m’aiment beaucoup et que je suis un étranger lui a donné la volonté de me rencontrer. C’est pour se rendre compte à quel point les sportifs reçoivent un traitement particulier dû à cet engouement-là. », poursuit-il.
Les deux formations se partagent également la même salle, le mythique Hala Pionir désormais la Hala Aleksandar Nikolić (en hommage au père du basket-ball yougoslave et serbe, il était surnommé « le Professeur » ou « le Sergent de Fer ».). Lorsque les équipes se croisent les semaines de derby, la tension monte indéniablement jusqu’à la rencontre.
« Il y a toujours les joueurs serbes qui se sont croisés en sélections nationales de jeunes. Forcément, il y a des liens. Mais en même temps, tu as beau te dire de ne pas tout mélanger, c’est parfois difficile de rester calme avec tous ces débordements. Même si moi j’ai toujours fait en sorte de rester poli, bien élevé ».
Joffrey Lauvergne, joueur du Partizan de 2012 à 2014
C’est dans ce climat que se passera ce premier derby sur la scène européenne depuis 2014. Ce jeudi, les équipes remettront le couvercle une nouvelle fois dans une ambiance qui s’annonce électrique. « C’est vrai que c’est le premier en Euroleague depuis super longtemps. Ça va rajouter un peu de pression, de folie tout simplement. C’est marrant que tu me parles de ça, mais moi aussi je suis pressé de voir ce que ça va être » affirme Joffrey Lauvergne. Le message est passé, ce nouvel épisode du derby éternel est un immanquable de cette saison en Euroleague. Les amateurs d’ambiances chaudes seront servis, ce match comme une revanche du match en ligue Adriatique, et le derby n’a pas semblé aussi équilibré depuis quelque temps.