Le feuilleton Deandre Ayton, qui durait depuis plus d’un an, a pris fin le 14 juillet dernier. Les Suns ont officiellement décidé de s’aligner sur l’offre de 133 millions de dollars faite par les Pacers, quelques heures auparavant. Au-delà de l’aspect sportif, l’exemple d’Ayton met en lumière le côté pervers de l’un des systèmes les plus intéressants et originaux de la NBA : la Free Agency restreinte — ou Restricted Free Agency.
Qu’est-ce que la Restricted Free Agency (RFA) ?
La NBA présente la particularité de permettre à un joueur de signer des contrats sur plusieurs années avec une franchise. Cette dernière obtient, à part exception, les droits d’utilisation et de séparation de ce joueur sans concession. Lorsque ce contrat prend fin, le joueur devient agent libre — ou Free Agent —, ce qui lui permet de signer où il souhaite.
Plusieurs exceptions existent, à commencer par les agents libres restreints — ou Restricted Free Agents. Pour permettre aux franchises de garder les jeunes joueurs qu’elles ont draftés, et pour éviter que les jeunes talents partent tous pour des gros marchés, la NBA a mis en place ce statut de Restricted Free Agent.
Le jeune joueur, en sortie de contrat rookie, peut signer où il veut via ce que l’on appelle une offer sheet. Il signe un contrat avec une équipe, mais sa franchise d’origine peut s’aligner sur l’offre déjà faite et ainsi conserver son joueur.
Il faut noter qu’une période moratoire existe, afin de laisser le temps au joueur et aux équipes de discuter avant que les contrats ne soient officiels. Un exemple probant est celui de Zach LaVine. Après avoir signé une offre de quatre ans et 80 millions de dollars avec les Kings en 2018, le guard est finalement resté un Bull puisque Chicago a matché l’offre de Sacramento. C’est exactement ce qui s’est passé avec Ayton, qui avait signé une offre de 133 millions de dollars avec les Pacers, avant que les Suns ne s’alignent sur ce montant.
Deandre Ayton, un cas particulier
L’été dernier, après une grosse saison ponctuée par une participation aux Finales NBA, Deandre Ayton était éligible à une prolongation de contrat max en sa qualité de numéro 1 de la draft 2018. Alors que Luka Doncic, Trae Young et Jaren Jackson Jr ont notamment obtenu ce type de deal, la situation est restée bloquée en Arizona. Le pivot bahaméen a débuté la saison 2021-22 dans l’incertitude, avec une franchise qui ne semblait pas prête à accéder à ses exigences salariales.
Entre demi-finale de conférence pas vraiment réussie, doute sur son implication dans le basketball et possibles tensions dans le vestiaire, le divorce entre les Suns et leur pivot semblait acté. Deandre Ayton est donc entré sur le marché des Restricted Free Agents avec le statut de joueur « premium », mais tout le monde savait que sa franchise n’y était pas vraiment attachée.
Les Pacers, en pleine reconstruction, ont sauté sur l’occasion et ont proposé un contrat max de 133 millions de dollars sur quatre ans au joueur de 24 ans. L’offre a été rapidement matchée par les Suns, visiblement peu enclins à perdre leur pivot titulaire sans aucune contrepartie.
Habituellement, les joueurs du calibre d’Ayton sont prolongés durant l’été de leur 3e année. C’est ce qui rend son dossier si particulier. Ce cas de figure est relativement rare, et seuls les role players sont habitués à ces offer sheets.
Les seules exceptions de ces dernières années restent LaVine aux Kings en 2018 ou encore Gordon Hayward aux Hornets en 2014. La présence d’un joueur du calibre d’Ayton sur le marché des Restricted Free Agents a mis en lumière un certain nombre d’incohérences et d’effets pervers du ce système.
Des petits marchés obligés de surpayer pour être attractifs
Le système de RFA a bien été mis en place pour aider les petits marchés à garder leurs jeunes pépites et éviter qu’elles fuient vers les plus grandes villes des États-Unis. Ce système est appréciable sur le papier. Il est néanmoins, depuis quelques années, la cause d’un effet négatif pour les équipes concernées.
Lorsque les joueurs dits « supérieurs » se retrouvent disponibles, peu daignent regarder du côté de Milwaukee, Indiana, New Orleans ou encore Oklahoma City. Ils préfèrent les plages de Miami et de Los Angeles, ou même les lumières de New York.
Les petits marchés — comme leur nom le sous-entend nettement — peinent à signer les joueurs qu’ils ont dans le viseur. Ils se rabattent donc souvent sur des reconstructions par la jeunesse et la Draft, ou par la proposition d’offer sheets pour de jeunes joueurs en sortie de contrat rookie.
La perversité du système réside dans le fait que ces franchises sont souvent obligées de proposer une offer sheet bien supérieure à la valeur réelle du joueur. Une stratégie récurrente, pour que l’équipe d’origine ne juge pas bon de s’aligner au risque de trop alourdir ses finances.
C’est un phénomène que l’on a observé ces dernières années avec une offre de 75 millions de dollars pour Allen Crabbe à Portland. Une somme astronomique pour des joueurs de ce calibre, gonflée par la renégociation des droits TV de la NBA, qui a pris effet lors de la Free Agency 2016. Mais ce montant était nécessaire pour le sortir du grappin de la RFA.
Ce système, censé renforcer l’attractivité de chaque franchise, continue de creuser le fossé entre petits et gros marchés en plombant les finances des petits marchés.
Temporiser les offer sheets pour faire monter les enchères
Alors que la Free Agency débutait le 1er juillet, il a fallu attendre plus de 14 jours pour voir le dénouement du feuilleton Ayton. Cela montre que la temporalité de ce système est questionnable.
Les joueurs comptent aujourd’hui sur une offer sheet, qui met du temps à arriver, pour augmenter leur valeur. Ils savent qu’une franchise finira par payer un prix élevé. Si Deandre Ayton n’était pas Restricted Free Agent, Indiana et d’autres concurrents auraient sans doute pu articuler leur été différemment en proposant un contrat soit plus faible, soit ouvert à des négociations plus porteuses.
En prenant son temps et en attendant une offer sheet au maximum, le pivot des Suns était conscient de ce qu’il faisait. Il a tout simplement fait monter les enchères. Il savait que quoi qu’il arrive, Phoenix allait devoir matcher une offre au max, au risque de le perdre sans rien en échange.
L’effet le plus pervers de ce système est donc sans doute l’immobilité des plus gros joueurs quand ils se retrouvent dans cette situation. Alors que la Free Agency est censée permettre aux athlètes de décider de leur avenir, on a vu ces dernières années que tous les plus importants Restricted Free Agents restent finalement dans leur franchise d’origine.
Gordon Hayward est resté au Jazz en 2014 malgré une offre de Charlotte. LaVine aux Bulls en 2018 malgré une belle offre des Kings. Cette année, Ayton reste sous le soleil de l’Arizona.
Toutes les parties prenantes semblent perdantes. Alors qu’Indiana a voulu orienter son recrutement autour de Deandre Ayton, la franchise ressort finalement avec un cap space inutilisé. Ils ont également dû couper quatre joueurs, dont Duane Washington, dans le cadre de cette opération et ne pourront pas les récupérer.
Alors que le mariage semblait consumé entre Ayton et Phoenix, le pivot et sa franchise devront au minimum cohabiter jusqu’en janvier prochain, date à partir de laquelle le joueur pourra être transféré.
Quelles solutions sont envisageables ?
Supprimer le modèle de la RFA
Si ce modèle a été initialement créé pour aider les plus petites franchises à garder leurs jeunes talents, ce sont bien ces villes qui semblent les plus pénalisées par le système aujourd’hui. Alors que les joueurs n’ont jamais eu autant de pouvoir, les petits marchés, eux, n’en ont plus réellement. Il semble donc compliqué et illogique de leur retirer le droit d’aller chercher — en surpayant, certes — les jeunes joueurs qui les intéressent le plus.
Supprimer le modèle de la Restricted Free Agency serait un véritable bouleversement pour la ligue. Mais peut-être que la NBA et ses joueurs jugeront que c’est pour le mieux. La prochaine échéance à laquelle cette idée pourra être réellement discutée attendra 2025, lors de la négociation du prochain CBA.
Autoriser des offer sheets dès le début de la Free Agency
La période moratoire n’est aujourd’hui plus pertinente. De nombreux joueurs savent où ils signeront avant même le 1er juillet. Sans cette période, Indiana aurait pu être agressif sur le dossier Deandre Ayton dès le premier jour, et mettre Phoenix devant un choix beaucoup plus difficile qu’au 14 juillet. La supprimer serait une potentielle solution pour atténuer les défauts du système.
Augmenter le montant des Qualifying Offers
Lorsqu’une franchise s’apprête à voir l’un de ses joueurs devenir Restricted Free Agent, elle doit déposer une Qualifying Offer. C’est un pourcentage du montant du contrat rookie, qui servira de base minimum sous laquelle les offer sheets d’autres équipes ne pourront descendre. Les joueurs peuvent également choisir de les accepter directement, ce qui arrive très rarement chez les profils convoités.
Ces offres sont devenues, par leur montant ridicule, plus une simple assurance pour garder un joueur qu’un véritable engagement. Elles ne constituent pas, en soi, des options crédibles et ne sont qu’un moyen de confirmer le statut restreint des agents libre. Si ce montant avait été plus élevé, Phoenix aurait probablement beaucoup plus réfléchi avant de mettre un contrat de 20 ou 30 millions sur la table juste pour être sûr de ne pas perdre Ayton sans rien en échange.
Comme en NFL, les Qualifying Offers pourraient être beaucoup plus élevées pour forcer les franchises à se projeter avec leurs jeunes.
Les fans des Pacers ne sont certainement pas ravis de la tournure que les événements ont pris. Mais le feuilleton Deandre Ayton aura au moins eu le mérite de mettre en avant les nombreuses incohérences du système. Autrefois approuvée et louée par la majorité du sport business par son côté avant-gardiste, la Restricted Free Agency semble aujourd’hui dépassée. Un nouveau modèle pourrait voir le jour sous l’ère Adam Silver.
Photo de Deandre Ayton : Jonathan Bachman/Getty Images