Fortement décriés pour leur activité à la Trade Deadline, les Kings pâtissent une fois de plus de leur réputation d’éternels losers. Il est tout à fait concevable que Sacramento ait fait un mauvais choix en sacrifiant son plus prometteur talent, Tyrese Haliburton, pour récupérer Domantas Sabonis. Seulement, est-ce à ce point évident ?
Regardons les choses en face. Nous sommes dans une ère où, partout en NBA, les Front Offices dépensent des fortunes pour s’attacher les services des plus grands experts du basketball au monde.
Alors que l’heure est à la surinformation, les franchises font partie des rares entités qui peuvent prétendre à un tel degré de connaissance et de compréhension de la ligue. Est-ce seulement encore possible pour une équipe d’en rouler une autre de nos jours ? Nous devrions plutôt nous efforcer de saisir les causes d’un transfert avant de chercher un « gagnant » ou un « perdant ».
Ces exécutifs, si attentifs au jeu et au marché, méritent en tout cas le bénéfice du doute. Peut-être une autre organisation l’aurait-elle obtenu dans la même situation, mais pas celle des Kings. Après 15 ans d’échec sans Playoffs — un désastre absolument inédit dans l’histoire de la NBA —, Sacramento a perdu la confiance des observateurs et des fans. Les rois déchus n’ont qu’un moyen de la regagner : l’arracher de force. C’est justement l’enjeu de ce recrutement.
Les transferts de Domantas Sabonis et Donte DiVincenzo prennent tout leur sens dans ce contexte. Les Kings cherchent à se forger une nouvelle identité et retrouver leur crédibilité.
Recruter Sabonis, regretter Haliburton
L’arrivée d’un double All-Star est généralement perçue comme une bonne nouvelle. Pourtant, à Sacramento, le transfert de Sabonis a suscité plus de tristesse que de joie. Ce n’est évidemment pas le fait de récupérer un joueur d’un tel calibre qui a déçu les fans des Kings, mais bien le départ de l’être aimé : Tyrese Haliburton.
Proche de son équipe et de sa communauté, considéré comme presque intouchable, la nouvelle a fait l’effet d’une bombe. « Tout le monde était choqué », confirme De’Aaron Fox, qui dit ne pas y avoir cru lorsque le trade de son coéquipier lui a été annoncé.
Voici la transaction à l’origine de tant d’indignation :
- Les Kings reçoivent : Domantas Sabonis, Justin Holiday, Jeremy Lamb et un deuxième tour de draft 2027
- Les Pacers reçoivent : Tyrese Haliburton, Buddy Hield et Tristan Thompson
Avant même que ces joueurs aient le temps de vérifier la disponibilité de leur numéro dans leur nouvelle équipe, Sacramento était déjà désigné comme le perdant de ce transfert. Cela ne fait aucun doute, Domantas Sabonis est pourtant bien plus performant que Tyrese Haliburton. Parmi l’élite à son poste, il est peut-être le meilleur joueur que la franchise a eu depuis l’ère DeMarcus Cousins.
Toutefois, ce que l’on reproche aux Kings, c’est leur vision. Ils ont choisi, par ce transfert, la certitude plutôt que le potentiel. En d’autres termes, ils ont préféré le court au long terme.
Haliburton a un avenir radieux devant lui. Avec des moyennes de 14,7 points, 7,7 passes et 3,9 rebonds par match, sa production est très impressionnante pour un sophomore. Son efficacité faisait de lui le meilleur joueur de l’équipe dans cette première moitié de saison : 45,7 % au tir, dont 41,3 % à trois points, avec près de 5 tentatives par match.
Tyrese Haliburton fêtera bientôt ses 22 ans. Au même stade de leur carrière, seule une poignée de meneurs affichaient des statistiques similaires. La liste est courte : Chris Paul, Trae Young, Jrue Holiday, Deron Williams, Mark Price, Tim Hardaway, Mike Bibby et — ironiquement — De’Aaron Fox.
Depuis son arrivée dans l’Indiana, il a d’ailleurs explosé ces standards. 20,8 points, 11 passes décisives et 4,3 rebonds de moyenne sur ces quatre premiers matchs, des chiffres dignes d’un grand joueur. À 48,3 % au tir et 45,2 % à trois points sur près de 8 tentatives, Haliburton est sur une autre planète.
Toujours dans son contrat rookie, le combo-guard aurait dû rester à Sacramento pendant encore sept à huit ans. Au contraire, ils ne peuvent être certains de conserver Sabonis que pendant deux saisons et demie. Au-delà de cette période, le pivot deviendra agent libre non restreint et pourrait choisir de rejoindre un marché plus attractif.
En échangeant son jeune talent contre un All-Star confirmé, l’équipe s’est véritablement renforcée sur le court terme. D’un autre côté, le projet a perdu en longévité et en potentiel. Un plancher plus haut dans l’immédiat, mais un plafond plus bas sur le papier.
En NBA, les équipes se construisent en perdant pour gagner dans le futur. Les Kings, eux, ont préféré miser sur le présent, quitte à risquer l’avenir. Peut-être ont-ils fait le mauvais choix, mais, quoiqu’il l’arrive, ils l’ont fait pour de bonnes raisons.
Un contexte inédit dans l’histoire de la NBA
15 ans sans Playoffs, comme une éternité. En 2006, Sacramento jouait en postseason, tandis que Dwyane Wade glanait le titre de MVP des Finales à 24 ans. Cela fera bientôt trois ans que l’arrière est parti à la retraite. Entre-temps, LeBron James a changé trois fois d’équipe et a remporté au moins une bague avec chacune d’entre elles. La capitale californienne, elle, n’a toujours pas retrouvé le chemin des Playoffs.
Sur cette longue période, l’histoire de la NBA a continué de s’écrire sans les Kings. Du moins, ils n’ont rien réussi d’autre que de devenir les plus grands perdants de l’histoire de la ligue, les rois de la défaite. Ajoutons qu’il faudra sûrement énormément de temps avant qu’une équipe ne les détrône.
Pour toute franchise, l’objectif est bien sûr le titre. L’urgence est ailleurs pour cette franchise — qui ne jouerait certainement plus dans la même ligue s’il y existait un système de montées et de descentes. Les rois ont des priorités bien à eux, leur situation est absolument unique dans la NBA moderne.
Un tel échec ne peut pas relever que de la malchance. Le problème est plus profond : il est lié à l’identité des Kings, celle de perpétuels perdants. Pour que cette équipe à l’état larvaire se métamorphose, elle a besoin de deux choses : un changement de mentalité et un semblant d’espoir. Cela passe nécessairement par la case Playoffs.
C’est ici qu’intervient le transfert de Domantas Sabonis. Sacramento n’est pas en position de briguer le titre, les dirigeants le savent. Le pivot lituanien n’est pas là pour ça, mais pour faire sortir cette équipe de son cocon. Elle tiendra sans doute plus de la mite que du papillon, mais l’essentiel, c’est qu’elle vole jusqu’aux Playoffs.
Leurs objectifs sont proches, ce qui explique leur courte vision. Qui sait ? Sans ce trade, peut-être auraient-ils fini par remporter un titre en 2028 ou 2029 avec Tyrese Haliburton. Mais ce dont les Kings peuvent être sûrs, c’est qu’ils sont de plus légitimes candidats aux Playoffs avec Sabonis dans leurs rangs.
Cette saison, aux Pacers, le fils d’Arvydas affichait des moyennes de 18,9 points à 58 % au tir, 12,1 rebonds et 5 passes par match. Une production rare, marque de la polyvalence et de l’intelligence de jeu de cet athlète au profil aussi atypique que moderne.
13e à l’Ouest avec un bilan de 22 victoires pour 38 défaites, il est sans doute déjà trop tard pour cette année. Peut-être que la motivation d’Alvin Gentry — son poste étant en jeu en tant qu’intérimaire — permettra à l’équipe d’accomplir une merveille. Seulement, on ne peut attendre aucun miracle d’une franchise qui nous a tant habitués à la déception.
Il serait bien mal avisé de penser que les Kings n’ont pas conscience de leur situation. Ils ne peuvent ignorer leur classement et leurs maigres chances d’accéder aux Playoffs, même par le Play-In. L’équipe est pressée de retrouver les joutes printanières, mais reste réaliste. S’il faut attendre une année de plus, elle le fera.
L’arrivée de Sabonis s’inscrit dans la lignée de la Draft de Davion Mitchell — un féroce défenseur et charismatique meneur d’hommes — et du licenciement de Luke Walton. Ce que cherche avant tout Monte McNair, General Manager et président des Kings, c’est la victoire immédiate pour briser la malédiction.
La contrainte De’Aaron Fox
Transférer Tyrese Haliburton n’était pas la première option de Sacramento. Avant la Trade Deadline, c’est surtout De’Aaron Fox qui avait été mis sur le marché. D’après de nombreuses sources, la demande pour Fox — prometteur, mais en nette régression par rapport à l’année dernière — était trop limitée pour en tirer une bonne contrepartie.
Par nécessité plus que par envie, les Kings ont choisi de marchander la seule pièce qui avait une véritable valeur aux yeux des équipes rivales. Se séparer d’Haliburton était sans doute l’unique moyen de débloquer la situation.
À 25 ans, Domantas Sabonis n’a qu’un an de plus que De’Aaron Fox. C’est également le cas pour Donte DiVincenzo et Josh Jackson, autres recrues qui viennent de fêter leurs 25 ans. Davion Mitchell n’a quant à lui qu’une année de moins. La stratégie de Sacramento s’inscrit clairement dans une timeline calquée sur Fox.
Cinquième choix de la Draft 2017, De’Aaron Fox est dans la première année d’un contrat de 5 ans pour 163 millions de dollars. Cependant, en nette régression par rapport à la saison précédente, Fox se heurte à un mur.
Près de 4 points et 2 passes en moins, sur les pires pourcentages de sa carrière derrière la ligne à trois points et une moindre efficacité au tir… ce n’est pas ce que la courbe sur laquelle on attend un joueur de 24 ans. Mais maintenant que les Kings lui ont donné les clefs et ont tant investi dans ce projet, ils doivent assumer leurs choix.
Deuxième pire défense de la ligue avec 114 points encaissés sur 100 possessions, 10e pire attaque avec 109,1 d’Offensive Rating, Sacramento a été médiocre sur les 56 premiers matchs de la saison. Avec le 6e plus faible pourcentage de passes décisives de la ligue (57,5 %) et seulement 70,8 % des rebonds défensifs captés — le 7e plus faible taux de la ligue —, les Kings n’avaient besoin de rien en particulier. Ils avaient simplement besoin de transformer leur jeu.
Du fait de sa polyvalence, le recrutement de Domantas Sabonis a d’autant plus de sens dans ce contexte. En attaque, à la passe et au rebond, il est en mesure d’apporter un début de solution à son équipe.
Si son association avec De’Aaron Fox n’est certainement pas parfaite, elle promet tout de même une claire amélioration sur le terrain. Leurs profils offensifs combinés devraient faire de Sacramento une attaque redoutable.
Les qualités de poseur d’écran de Sabonis et le danger qu’il représente balle en main devraient libérer de l’espace pour les pénétrations de Fox. Depuis le transfert, le meneur affiche d’ailleurs des moyennes de 28 points, 4,8 passes et 4,5 rebonds par match, des moyennes bien supérieures à ses standards dans cet exercice.
Le pivot pourrait également se voir confier un important rôle à la création, dans la mesure où Fox n’est pas un véritable spécialiste du playmaking. L’attaque des Kings avait tendance à se montrer prévisible, problème que l’un des intérieurs les plus créatifs de la ligue pourrait partiellement résoudre.
Un projet à court terme, qui appelle à la cohérence
Maintenant, le recrutement de Domantas Sabonis n’est pas une fin en soi. Bien entendu, il est et devrait rester le plus gros move des Kings dans ce nouveau cycle. Ce transfert implique toutefois d’autres adaptations au sein du projet, ils ont moins de deux saisons pour le faire fonctionner autour de Sabonis et Fox.
L’arrivée de Donte DiVincenzo, avant la deadline également, s’inscrit déjà dans cette logique. Si le trade d’Haliburton est critiquable, celui de Marvin Bagley — décevant et sur un contrat expirant — en échange de DiVincenzo ne peut-être qu’une transaction réussie pour Sacramento. D’autant plus avec un nouvel intérieur star et le départ de deux arrières.
DiVincenzoa certes du mal à lancer sa saison. Depuis son retour de blessure, il n’est plus tout à fait le même. Seulement, il a déjà fait ses preuves dans la ligue et pourrait avoir un impact majeur dans sa nouvelle franchise. 27,5 minutes lui étaient accordées à Milwaukee l’année du titre, une belle marque de confiance de la part d’une équipe très compétitive.
Tyrese Haliburton et Buddy Hield, les Kings avaient un réel besoin au poste 2 et devaient trouver un joueur auquel confier de lourdes responsabilités. L’ancien arrière des Bucks pourra leur apporter de la création et éventuellement du scoring, mais surtout une aide précieuse en défense. Dans ce projet centré sur l’attaque, son efficacité défensive pourrait s’avérer particulièrement importante.
Ces qualités avaient déjà poussé Sacramento à tenter de le récupérer lors du sign-and-trade avorté de Bogdan Bogdanovic. Un an plus tard, il amène en plus une véritable expérience, acquise dans les vestiaires d’une équipe championne — un critère recherché dans le cadre du changement d’identité de ce groupe.
Son arrivée permettra aussi d’alléger les épaules de Davion Mitchell, qui pourra se concentrer sur sa mission défensive et sa progression au tir, tout en s’habituant à son rôle de backup de De’Aaron Fox.
Toujours dans cette optique de renforcer leur défense et les postes 2/3, Justin Holiday a également un rôle à jouer dans le projet. En témoignent ses 32 minutes de moyenne sur ses 4 premiers matchs aux Kings. Son salaire de 6,2 millions de dollars la saison prochaine en fait un excellent ajout pour le Front Office de Sacramento, qui a parfois du mal à recruter des vétérans à des tarifs compétitifs.
Il en va de même pour Trey Lyles — agent libre restreint avec une Team Option de 2,6 millions de dollars — qui apporte un peu de profondeur à cet effectif avec son profil de stretch four.
Tandis que toute l’attention se porte sur Domantas Sabonis du côté de Sacramento, Monte McNair et ses exécutifs semblent avoir tout réussi dans les petites lignes. Ce virage vers un projet à court terme ne se limite pas à un joueur. Cet été, il devra d’ailleurs réaliser quelques ajustements pour encore améliorer son roster et assurer une qualification en Playoffs en 2023.
Tandis que cela posait question avant la deadline, Harrison Barnes devrait conserver sa place dans ce roster. En tant que troisième option offensive et vétéran, l’ailier dispose plus que jamais d’un rôle logique dans le projet.
Josh Jackson pourrait également être un profil intéressant pour ces Kings toujours à la recherche d’arrières-ailiers créateurs. Alors que son contrat expire à la fin de la saison, ce qu’il montrera à l’entraînement et en match sera sans doute déterminant.
Avec l’arrivée de Domantas Sabonis, le plus gros point d’interrogation devient néanmoins Richaun Holmes — pourtant l’un des joueurs les plus appréciés de l’effectif. Dans cette équipe, sa valeur se trouvait justement dans ce qu’apporte la nouvelle recrue de Sacramento avec son jeu axé sur l’attaque et les écrans.
Les deux intérieurs évoluent globalement dans les mêmes espaces sur le terrain, et leur association n’a rien de particulièrement prometteur. Cette situation ne peut que nous rappeler celle des Pacers, dans laquelle la combinaison de Sabonis et Turner n’a jamais porté ses fruits. Pourquoi Holmes réussirait-il là où Myles Turner a échoué, alors que son profil est bien moins complémentaire avec celui de Sabonis ?
Avec 77 millions de dollars engagés sur Sabonis, Fox, Barnes, Holiday et Mitchell, transférer le très honnête contrat de Richaun Holmes représente la meilleure façon pour les Kings de se renforcer pendant l’intersaison.
Leurs besoins se préciseront certainement en cours de saison, même si les postes 4 défensifs devraient être leur principale cible. Il leur faudra sans doute un joueur athlétique, qui compense le manque de taille et de mobilité de leur pivot, à la manière d’Aaron Gordon qui épaule Nikola Jokic aux Nuggets.
La saison prochaine, avec les bons ajustements et une véritable synergie collective, Sacramento devrait se présenter comme un sérieux prétendant aux Playoffs. Dans l’ère du Play-In, les Kings ont plus que jamais leurs chances de mettre un terme à la « malédiction ».
Compte tenu du potentiel dont dispose Tyrese Haliburton, la franchise sera peut-être portée à regretter son choix. Mais jamais nous ne devrons oublier le contexte si atypique de Sacramento, qui a motivé cette décision.
Photo : Thearon W. Henderson/Getty Images