Le secteur sportif, qui dépend directement de la proximité des joueurs, a été fortement impacté par le coronavirus pendant cette année 2020. En mars dernier, la NBA avait pris le maximum de précautions en stoppant totalement sa saison, avant de la reprendre en juillet pour des raisons essentiellement financières.
À l’aube de la saison 2020-21, il est temps de tirer un bilan aussi bien financier que sportif des conséquences que la pandémie a eues et aura sur l’une des plus grandes ligues sportives du monde.
Revue de l’impact de la pandémie sur les finances de la ligue
« À partir du moment où nous sommes en sécurité, nous aimerions finir la saison. […] Personne ne devrait annuler quoi que ce soit », déclarait LeBron James sur Twitter fin avril. Cette prise de position assumée par la star des Lakers arrangeait totalement Adam Silver sur le plan sportif, mais encore plus sur le plan financier.
La NBA est aujourd’hui la troisième ligue qui génère le plus de profit au monde. Stopper cette machine infernale amène à une situation catastrophique pour les dizaines de milliers d’employés qui y travaillent, mais également pour les finances de la ligue elle-même.
Cette saison 2019-2020 avait déjà mal débuté avec la crise politique provoquée par Daryl Morey, à l’époque GM de Houston, et sa prise de position actée en faveur des manifestations alors en cours du côté de Hong Kong. La Chine s’était alors totalement désolidarisée de toute action de la ligue, allant même jusqu’à déprogrammer de nombreux matchs dans un pays qui représente une part non négligeable des revenus de la NBA. Lors du All Star Game 2020 à Chicago, Adam Silver avait même déclaré dans une conférence de presse que « l’ampleur du manque à gagner sera dans les centaines de millions de dollars, probablement moins de 400 millions. »
Quel passif pour la ligue ?
Cet arrêt momentané de la ligue n’est pas le premier que les fans ont connu sur les vingt dernières années. Il est déjà arrivé quelques fois que les matchs soient annulés, avec pour exemple les lockouts de 1999 et 2011 :
Le lockout de 1998-99 est connu pour avoir été celui qui a le plus affecté la ligue. Il a duré plus de six mois, du 1er juillet 1998 au 20 janvier 1999, et a profondément changé les rapports de force entre la NBPA — le syndicat des joueurs — et les propriétaires. En raison d’une renégociation avortée du CBA, ce lockout a entrainé un raccourcissement de la saison à 50 matchs et l’annulation du All-Star Game. Ce conflit a causé une perte d’environ 500 millions de dollars dans le montant total des salaires des joueurs et plus d’un milliard de pertes pour la ligue.
Concernant le lockout de 2011, il s’agit encore une fois d’un désaccord entre les joueurs et les propriétaires pour la prolongation CBA, venu stopper la saison avant même qu’elle ne commence. Les propriétaires voulaient notamment réduire la part du salaire des joueurs dans le montant des revenus de 57 à 47 %, chose inacceptable pour la NBPA. C’est cinq mois après le début de l’exercice que les rookies sélectionnés en 2011 pourront officiellement débuter dans la grande ligue. De son côté, la NBA avait déjà perdu près de 370 millions de dollars, alors que 22 équipes perdaient déjà de l’argent.
Malgré des ressemblances évidentes, ces situations demeurent tout de même profondément différentes du contexte actuel. Elles étaient la conséquence d’un conflit entre les propriétaires et les représentants de la NBPA, pas d’un événement exogène comme une crise sanitaire.
Les pertes financières de la NBA
Pour comprendre quelles sont les pertes financières causées par la COVID sur cette fin de saison 2019-20, il faut bien saisir ce que ces matchs représentent pour la trésorerie de la ligue. Selon une étude menée par ESPN, chaque match de saison régulière rapporte environ 1,2 million de dollars à la grande ligue — ce chiffre comprend notamment la billetterie, les ventes de maillot sur place, les partenaires et les audiences TV. Ce chiffre augmente en Playoffs, où chaque rencontre rapporte 2 millions de dollars en moyenne — encore plus pour les finales.
En 2019-2020, 40 % des revenus de la NBA provenaient des salles et de l’activité qui en découlait. Une part gigantesque a été perdue dans le gâteau que toute la ligue doit partager.
C’est ainsi une perte de plus de 1,5 milliard de dollars qui a été enregistrée à cause de la crise sanitaire. Ce chiffre comprend notamment les 800 millions de dollars perdus à la billetterie des salles et les 400 millions perdus à cause de l’absence des sponsors et du merchandising.
Avec près de 25 matchs et des Playoffs en moins, la NBA a profondément souffert de cette crise sanitaire, ce qui provoque irrémédiablement un déséquilibre dans la gestion de la ligue.
En effet, la NBA est composée de telle manière que les revenus sont partagés entre les propriétaires et les joueurs, c’est ce qu’on appelle le BRI (Basketball Related Income, c’est-à-dire le partage des revenus dans la ligue). Alors que les joueurs ont un salaire fixe déterminé par leurs contrats — que ce soit en termes bruts ou de pourcentage du salary cap —, les propriétaires reçoivent un retour fluctuant qui dépend des revenus de la NBA.
Ces revenus sont normalement lissés par les prédictions que la NBA réalise. Ces mêmes prédictions permettent notamment de négocier le CBA, mais en cas de crise majeure, l’équilibre est rompu.
Pour la saison 2020-21, les contrats des joueurs représentent 3,8 milliards de dollars garantis. Ce montant est garanti dans le BRI et, dans le pire des scénarios, la proportion des salaires dans le BRI pourrait monter jusqu’à 75 %. Un scénario catastrophe tant il s’éloigne de la part prévue dans le CBA et qui pourrait causer un lockout sans précédent si la situation ne s’améliore pas.
C’est tout l’écosystème NBA qui est en train de se fissurer. Véritable plaque tournante du sport mondial et exemple international, la machine à dollars s’érode à cause de cette crise. Alors que la ligue prévoyait un chiffre d’affaires de plus de 8 milliards de dollars, elle a dû se contenter de 6,8 milliards. Une chute qui impacte la ligue, les équipes, mais aussi les joueurs.
Changement de stratégie pour les acteurs de la NBA
Sans même prendre en compte la situation sanitaire, peu d’équipes avaient suffisamment de cap pour se montrer actives lors de l’intersaison. À l’ouverture de la Free Agency 2020, seuls les Knicks disposaient d’un cap space effectif, une information qui évolue en fonction des cap holds des équipes. Les Hawks, eux, ont notamment supprimé une dizaine de millions de cap holds pour obtenir un cap space de plus de 43 millions de dollars.
Cette situation montre que les équipes avaient prévu de peu dépenser lors de l’intersaison — exception faite des extensions, qui représentent cette année plus d’un milliard de dollars en contrats. Avec une Free Agency 2019 mouvementée et une édition 2021 anticipée, les équipes avaient prévu de se montrer timides sur ce marché 2020, la crise sanitaire est donc « bien tombée » en 2020.
Cependant, il faut bien souligner que certains Front Offices se sont montrés nerveux et attentifs à leurs dépenses cet automne compte tenu du flou et de l’indécision ambiants. Lorsque le marché des agents libres apparait comme fermé, les trades sont la seule solution possible avec des salaires connus et effectifs pour les prochaines saisons.
Avec une offseason très attendue pour ses potentiels agents libres (Giannis Antetokounmpo, Kawhi Leonard, Paul George, Anthony Davis, Rudy Gobert…) et sa Draft (Cade Cunningham, Jalen Green, Jonathan Kuminga…), les franchises ont anticipé et donc surveillé leurs dépenses en 2020. Malgré les extensions de contrat de nombreux agents libres particulièrement attendus, certaines équipes pourront se montrer agressives sur le marché de 2021, lorsque la situation financière de la ligue se sera améliorée.
Qu’attendre de la saison 2020-21 ?
Pour cette saison 2020-21, de nombreux dirigeants ont déjà annoncé une année de transition et de préparation pour la suivante, avec peu de grosses signatures et des exceptions bien utilisées. Que ce soit la mid-level ou la bi-annual exception, de nombreux agents libres, même parmi les meilleurs, se sont contentés de celles-ci en attendant la Free Agency 2021. Serge Ibaka et Montrezl Harrel ont notamment signé dans leurs équipes pour la mid-level exception.
Les franchises proactives se montrant agressives très tôt sur le marché seront probablement les grandes gagnantes de cet hiver. Celles qui ont réussi à signer les vétérans sur ces fameuses exceptions seront à la fois compétentes pour la saison à venir, mais disposeront également d’une certaine flexibilité quand la NBA saura se relever de la crise sanitaire.
Quelle stratégie pour les joueurs ?
Si les franchises ont tendance à accentuer leurs efforts vers la Free Agency 2021, on observe la même chose du côté des joueurs.
Avec un cap space incertain, une stratégie floue de la part des franchises et une situation sanitaire à risque, de nombreux joueurs ont choisi de faire l’impasse sur cette intersaison de peur de ne pas trouver meilleur contrat.
L’activation de certaines player options est un exemple évident de cette tendance à repousser sa disponibilité sur le marché : on peut citer Evan Fournier, Andre Drummond, Demar Derozan ou encore Tim Hardaway Jr. Des joueurs référencés, qui pourraient éventuellement espérer un plus gros contrat ou une meilleure situation sportive, mais que le contexte et la promesse d’un marché dégagé en 2021 ont poussés à opt in.
Il faut bien sûr nuancer ce propos, car même avant la crise sanitaire la Free Agency 2020 s’annonçait calme. Malgré tout, un joueur comme Fournier aurait été considéré comme un gros poisson cette année. C’est très certainement la crise en cours qui l’a poussé à réviser son jugement.
L’avenir de la ligue
Une bulle salvatrice
Lorsque la bulle d’Orlando a été mise en place l’été dernier, la solution d’Adam Silver a été vivement critiquée, de nombreux fans arguant que ce choix n’était poussé que par la recherche du profit.
Soyons clairs, la réponse est oui. La NBA est une entreprise multinationale et représente un modèle de réussite financière pour tous les acteurs sportifs à travers le monde. La bulle leur a effectivement permis de sauver leur situation financière d’une si belle manière qu’aucun spécialiste ne l’avait ainsi prévu.
Alors que plusieurs scénarios catastrophes étaient annoncés, le compte rendu financier a révélé que la bulle a permis de limiter les pertes de la NBA à 10 % de ses revenus, soit 1,5 milliard de dollars. C’est énorme, mais peu d’experts financiers attendaient si peu de pertes de la part de la ligue.
Exemple frappant de la réussite de la bulle : la fluctuation de l’escrow tax pendant l’été. L’escrow tax est une taxe de 10 % du contrat d’un joueur, qu’il doit obligatoirement reverser à la ligue nord-américaine chaque année pour lui permettre d’avoir un matelas financier pour compenser les pertes en cas de catastrophe. Et catastrophe il y a eu. Habituellement, les joueurs récupèrent leur participation en fin d’année, sauf que la NBA a dû cette année piocher dans cette réserve. Les retours les plus pessimistes, en août dernier, annonçaient une escrow tax grimpée jusqu’à 25 % avec un remboursement à oublier. Cependant, la bulle a permis à cette taxe de rester sous la barre des 20 %, avec un remboursement des joueurs à étaler sur plusieurs années.
Autre chef-d’œuvre de la NBA : réussir à faire accepter à la NBPA le retour de la saison avant 2021, une autre solution pour réduire leurs pertes sur l’année civile 2020. Avec une offseason raccourcie, les joueurs ont dû mettre leur repos de côté pour sauver leur entreprise et sans doute la suite de leur carrière.
Effectivement, un retour au jus début/mi 2021 aurait été catastrophique pour la ligue, car il aurait accentué l’écart entre les contrats des joueurs et les revenus des propriétaires dans le BRI. Cela aurait très probablement abouti sur un lockout 2021 des plus destructeurs.
Oui, la NBA et les joueurs ont chacun fait le choix de la bulle et d’une saison raccourcie pour leurs intérêts personnels (financiers). Mais ces solutions ont le mérite d’exister et permettent à la NBA d’entrevoir un avenir bien plus serein que prévu.
Les efforts de la NBA
Il faut retenir que la NBA a fait preuve d’une capacité d’adaptation remarquable à travers différents efforts pour éviter de sombrer.
Le salary cap en est le parfait exemple : avec des revenus en baisse et de nombreuses inquiétudes parmi les propriétaires, tout le corps NBA s’attendait à voir le salary cap baisser. Cela aurait naturellement eu un certain nombre de conséquences néfastes. En effet, le contrat de certains joueurs est directement indexé sur un pourcentage du salary cap de leur équipe – comme Jamal Murray ou Ben Simmons pour ne citer qu’eux. Le salaire des joueurs aurait alors été très différent, en fonction du type de contrat qu’ils ont signé. Cela aurait provoqué un déséquilibre dont la NBA a voulu se passer.
Finalement, Silver a choisi de miser sur l’avenir et de permettre aux Front Offices de lisser leurs dépenses pour aborder les prochaines saisons plus sereinement. La ligue a ainsi gelé le cap de la prochaine saison et le laisser augmenter les années au fil des années.
Salary cap | Luxury tax | |
---|---|---|
2019-20 | 109,1 millions | 132,6 millions |
2020-21 | 109,1 millions | 132,6 millions |
2021-22 | 112 millions | 136,6 millions |
2022-23 | 115,7 millions | 140 millions |
2023-24 | 119,2 millions | 144,9 millions |
Il faut également saluer les efforts mobilisés par la ligue pour alléger les propriétaires. Ils ont notamment permis une réduction des pénalités pour les franchises qui dépassent le seuil de la Luxury Tax, une bouffée d’air frais pour les équipes compétitives.
Évolution du salary cap en NBA
[ninja_charts id= »1″]
À quel scénario peut-on s’attendre ?
Comment imaginer le futur de la ligue lorsque l’on a vu toutes les conséquences de la pandémie sur les finances des joueurs et de la ligue ? Il s’en présente trois, que nous pouvons aborder rapidement.
Un scénario catastrophe :
Même si la NBA peut se targuer de relancer sa saison en décembre, c’est une saison raccourcie qui se profile. Pire encore, seulement six franchises accueilleront des spectateurs — en nombre limité — dans leur enceinte dès le début de la saison : Cavaliers, Jazz, Magic, Pelicans, Raptors et Rockets.
Compte tenu du manque à gagner qui se profile, de nombreux propriétaires redoutent une véritable chute de revenus qui pourrait s’avérer fatale. De nombreux propriétaires sont frappés de plein fouet par la crise sanitaire de par leurs activités. Tilman Fertitta, PDG des restaurants Landry’s et propriétaire des Rockets, s’est notamment exprimé sur les conséquences catastrophiques de la COVID sur ses restaurants. Il affirme que cela pourrait avoir un impact important sur les prochaines négociations du CBA et du revenue sharing.
Un lockout pourrait donc se préparer sur les prochaines années, un lockout bien plus périlleux que ceux que nous avons déjà connu par le passé.
Un scénario positif :
La NBA a fait beaucoup d’efforts pour soutenir sa structure. Elle a lissé les attentes des Front Offices, rassuré ses joueurs et donné plus de flexibilité aux propriétaires. Ses efforts devraient se montrer payants.
La Draft 2021 regorge de talents, la double Draft 2022 — compte tenu de la possible baisse de l’âge pour devenir professionnel dans la ligue — est annoncée comme All-Time. Avec la Free Agency 2021, ainsi que les nouvelles stars émergentes… ce sont autant d’aspects qui permettent d’espérer un audimat au plein haut pour les prochaines années. Une fièvre du basket qui pourrait permettre à la ligue de se relancer d’une magnifique façon sur la décennie.
Un scénario inattendu :
Et si la NBA prenait un virage inattendu pour se reprendre de la torpeur de la COVID ? En effet, une expansion n’a apparemment jamais été autant au centre des discussions qu’en ces temps de COVID. « Je dirais que la pandémie nous a peut-être amenés à dépoussiérer certaines des analyses sur les impacts économiques et concurrentiels de l’expansion », admet Adam Silver. « Nous y avons consacré un peu plus de temps qu’avant la pandémie. »
Bien que l’expansion ne soit pas au « premier plan », toujours d’après Adam Silver, elle pourrait être une source de revenus non négligeable pour les franchises dans leur ensemble.
Pour rentrer en NBA, une nouvelle franchise doit s’acquitter du prix moyen de la valeur d’une franchise, qui est aujourd’hui de 2,1 milliards selon Forbes. Si la ligue tient à préserver l’équilibre des conférences, ce montant s’élèverait donc à 4,2 milliards de dollars en cas d’expansion — un revenu gigantesque qui intéresserait de nombreux propriétaires.
« Vous faites appel à une solution permanente pour régler un problème temporaire », explique Larry Coon, expert en salary cap, au Bleacher Report. « Malgré tout, cela pourrait aider les propriétaires qui se prennent de plein fouet cette récession économique, en dehors du basketball. »
Aujourd’hui, la NBA a toutes les cartes en main pour s’assurer du bon maintien de l’équilibre qui la compose. Elle a fait preuve d’une adaptation remarquable en se relevant plus rapidement, mais aussi plus sûrement, que les autres ligues mondiales. Même si la prochaine saison se trouve raccourcie, tous les voyants semblent au vert pour que la NBA prouve, une nouvelle fois, sa stabilité exceptionnelle sur le territoire sportif mondial.
Photo de couverture : Mark J. Terrill/AP Photo