Bill Walton : la tête dans les nuages, les pieds dans le plâtre

par Lukas Folkowski
Bill Walton L'Analyste

Alors que Nikola Jokic sort de deux saisons monumentales ponctuées par deux titres de MVP, on ne peut s’empêcher de voir du Bill Walton en lui. L’histoire de ce pivot est celle d’un précurseur, avec un jeu et une personnalité atypique pour son époque. 

Que ce soit par ses passes, son QI basket ou sa défense, Walton continue encore aujourd’hui d’influencer les nouvelles générations. Amoureux de la balle orange, il a tout donné à celle-ci, quitte à mettre sa santé en danger. Mais parfois, la vie peut se montrer injuste, et les forces d’un jour peuvent devenir les freins de demain. 

La jeunesse de Bill Walton, le hippie de UCLA

Né le 5 novembre 1952 en Californie, Bill Walton grandit à San Diego, dans une région réputée pour ses paysages paradisiaques et sa chaleur étouffante. Le jeune Bill connaît une enfance ordinaire pendant laquelle, très rapidement, la balle orange occupe prend place centrale.

Dans les pas de son frère Bruce, drafté en NFL en 1973, il s’intéresse de plus en plus au sport. Il voit dans le basketball une opportunité de se libérer de ses démons. « Je bégayais horriblement, je ne pouvais pas du tout parler », raconte-t-il des années plus tard. « (J’étais) une personne très timide et réservée. J’ai trouvé un endroit sûr dans la vie dans le basketball. »

Il mène son lycée Helix High vers deux titres, avec une impressionnante série de 44 victoires consécutives. Son talent ne fait alors aucun doute, toutes les universités du pays souhaitent s’attacher ses services. Seulement, dans son esprit, il n’y a aucun doute sur sa destination. Il souhaite rallier UCLA. Il rejoint donc l’université californienne, dirigée par le légendaire John Wooden, qui sort de grandes saisons ponctuées par six titres sur les sept dernières années. 

Sa carrière universitaire est iconique, que ce soit sur le parquet ou en dehors. En effet, le pivot de 2m11, digne représentant du mouvement hippie, a du mal à s’adapter aux règles strictes de son coach. En raison de son besoin de libertés, il est constamment à la recherche d’espaces pour s’exprimer. Il se positionne contre la guerre au Vietnam et participe à une manifestation contre le président de l’époque, le républicain Richard Nixon. Cette prise de position lui vaudra d’ailleurs un séjour en prison. Bill Walton est avant tout un avant-gardiste par ses convictions, que ce soit le refus de prendre des antidouleurs ou le suivi d’un régime végétarien. 

Bill Walton UCLA John Wooden
Bill Walton, à côté du coach de UCLA John Wooden, en 1971. Photo : George Long/Sports Illustrated via Getty Images

Malgré cela, Walton adopte pleinement la mentalité gagnante de son université et s’impose très rapidement comme le leader des Bruins. Il remporte un total ahurissant de 86 matchs sur 90 possibles, avec une série de 77 victoires consécutives — qui prendra fin contre l’université Notre-Dame de Adrian Dantley. Il est logiquement élu à trois reprises joueur universitaire de l’année, avec 20 points et 16 rebonds de moyenne, à 64 % au tir. Celui que l’on compare à Kareem Abdul-Jabbar — également issu de UCLA — marque les esprits, comme en finale du titre national de 1973. 

Ce soir-là, il réalise l’une des plus belles performances de l’histoire du basket universitaire en inscrivant 44 points à 21-22 au tir — alors que les dunks étaient refusés — tout en prenant 13 rebonds pour offrir la victoire à son équipe. Avec deux titres en poches, il est annoncé comme le futur joueur dominant de la NBA, c’est donc tout naturellement qu’il se présente à la Draft 1974. Repoussant les avances de la ABA, il est sélectionné avec le premier choix par les Portland Trail Blazers, qui ont terminé la saison avec seulement 27 victoires. 

À Portland, au sommet de son art

Dans l’Oregon, les deux premières saisons de « Big Red » sont freinées par diverses blessures. Pourtant, le Front Office reste attaché à son joyau, conscient qu’il possède un talent générationnel sur lequel construire un prétendant au titre.

Officiellement mesuré à 2m11, Bill Walton est le bourreau des défenses de l’époque. Son jeu de passe exceptionnel, son toucher proche du cercle et ses qualités techniques en font un joueur absolument inarrêtable. Défensivement, il parvient à protéger sa peinture grâce à sa taille et sa lecture du jeu, qui lui permet de contrer les pivots, tout en gênant les extérieurs grâce à une belle mobilité. Il sait exactement où il faut se placer afin de prendre le rebond ou écarter la défense. Ouvert d’esprit, il dialogue avec ses coéquipiers dans le but de les mettre dans les meilleures conditions possibles une fois sur le parquet. 

« Walton pouvait tout faire, il avait un excellent timing, une vision complète du terrain, d’excellents fondamentaux et était un excellent passeur, à la fois tout terrain et demi-terrain. Il adorait jouer au basket, adorait ça, les entraînements, les matchs… surtout les matchs à l’extérieur. Il aimait gagner à l’extérieur. Et il était intelligent, un joueur d’équipe très dévoué. »

Jack Ramsay, légendaire coach des Blazers, à The Oregonian.

La saison 1976-77 est celle lors de laquelle Portland et Walton passent un cap. En effet, le pivot aux mains d’or s’affirme comme l’un des — le, peut-être ? — meilleurs intérieurs de la ligue. Entouré de solides coéquipiers tels que Maurice Lucas (15 points et 9 rebonds de moyenne en carrière) et Lionel Hollins (12 points et 4,5 passes décisives), il parvient à qualifier sa franchise en Playoffs en finissant à la 3e place de l’Ouest. 

Bill Walton Portland Trail Blazers
Lionel Hollins (14), Maurice Lucas (20), Dave Twardzik (13) et Bill Walton (32) sur le terrain pour les Blazers, devant leur coach Jack Ramsay, en 1976. Photo : Heinz Kluetmeier /Sports Illustrated via Getty Images

Au premier tour, les Blazers se débarrassent des Bulls en remportant la série deux manches à une. En demi-finale, les joueurs de Portland retrouvent Denver, équipe face à laquelle ils avaient remporté deux victoires et concédé deux défaites en régulière. Il faut un Bill Walton omniprésent, quoique bien épaulé par Maurice Lucas, pour se défaire de l’équipe de David Thompson et Dan Issel. En finale de conférence, Portland doit affronter les Lakers de Kareem Abdul-Jabbar. Le duel entre les deux anciens joueurs de UCLA fait saliver l’ensemble des fans, pourtant il n’y aura pas de série. Dans le sillage d’un Bill Walton terriblement dominant, les Blazers balayent les Lakers d’un Kareem Abdul-Jabbar monstrueux, mais trop seul, qui se fera méchamment posteriser par le pivot

En Finales NBA, les Sixers de Philadelphie sont le dernier obstacle qui barre la route aux Blazers. Malgré leur jeunesse commune, sans aucun joueur majeur au-dessus de la barre des 30 ans, les deux équipes sont diamétralement opposées. Alors que, dans l’Oregon, l’équipe est construite autour de Bill Walton, en Pennsylvanie, l’équipe est constituée de stars. On retrouve ainsi chez les Sixers Julius Erving (22 points, 8,5 rebonds, 4 passes par match cette saison-là), George McGinnis (21 points, 11,5 rebonds, 4 passes), Doug Collins (18 points, 3 rebonds, 5 passes) ou encore World B. Free (16 points, 3 rebonds, 3 passes). 

Pour la majorité des observateurs, Philadelphie apparaît comme le favori. Le début de la série leur donne raison. En remportant les deux premières rencontres, les Sixers imposent une dureté à laquelle les Blazers ne parviennent pas à répondre. Dos au mur, Jack Ramsey, coach de Portland, décide d’opérer un changement tactique en demandant à Bill Walton de distribuer davantage le ballon. Cette stratégie s’avère payante : les Blazers s’imposent lors des deux rencontres suivantes.

Alors qu’après les deux équipes se trouvent à égalité après ces quatre premières manches, on sait que la rencontre qui se profile sera décisive. Déterminé à remporter ce premier titre, Bill Walton réalise une superbe rencontre (14 points et 24 rebonds) pour s’emparer de la victoire.

La confrontation suivante est une véritable démonstration de force. Du côté de Philadelphie, un splendide Julius Erving (40 points, 6 rebonds, 8 passes). De l’autre, Bill Walton — à domicile — enchaîne paniers au poste, passes laser et contres. Sa ligne statistique parle pour lui : 20 points, 23 rebonds, 7 passes, 8 contres à 8-15 au tir, dont un magnifique double alley-oop. Au terme de ce match disputé, Portland s’impose de seulement 2 points (109-107) devant un Memorial Coliseum qui n’oubliera probablement jamais ce moment.

Seulement dans sa troisième saison professionnelle, Walton offre à sa franchise le tout premier titre de son histoire. Le pivot est logiquement élu MVP des Finales, avec 18,5 points, 19,0 rebonds, 5,2 passes, 3,7 contres de moyenne sur la série). La ville de Portland tombe immédiatement amoureuse de son équipe, et plus particulièrement de son pivot de 24 ans, qui semble incarner le futur de la ligue. 250 000 fans envahissent les rues de la Cité des Roses pour célébrer cet accomplissement inédit.

Bill Walton Portland Trail Blazers Titre
Après la victoire des Blazers, la folie gagne toute la ville de Portland en 1977. Photo : The Oregonian

La « Blazermania » ne retombe pas pendant l’été. Le début de la saison suivante est énorme. Portée par un Bill Walton All-Star, l’équipe se retrouve à la fin du mois de février en tête de sa conférence avec 50 victoires pour 10 défaites. En pole position pour décrocher le record de l’époque — celui des Lakers de 1972 avec 69 victoires —, on ne voit pas ce qui pourrait entraver la route des champions en titre. L’équipe de l’Oregon vit un rêve éveillé grâce à l’un des plus grands talents qu’ait connu ce sport. 

Mais si on a parfois l’impression que Bill Walton n’a aucun défaut, le joueur parfait n’existe pas. Malheureusement, la règle ne fait aucune exception. 

La fin du rêve, le début du cauchemar

La fin de la saison 1978 des Blazers est marquée par la blessure de Bill Walton, une fracture à la cheville droite. Pour autant, cela n’empêche pas les votants de l’élire MVP de régulière, avec ses moyennes de 19 points, 13 rebonds, 5 passes et 2,5 contres à 52 % au tir en seulement 58 matchs.

Au-delà des statistiques, Bill Walton impressionne toujours autant. Il rend l’ensemble de ses coéquipiers meilleur et parvient à disséquer toutes les défenses tentent de l’arrêter. Une domination totale, à laquelle les coaches adverses restent sans réponse.

Il revient en Playoffs contre Seattle et réalise une superbe performance dans le Game 1, avant de redispraître aussitôt en raison de sa cheville douloureuse. En l’absence de son Franchise Player, les Blazers n’arrivent pas à tenir tête aux Sonics.

Portland s’en remet aux exploits de Maurice Lucas et Lionel Hollins pour rester en vie. Mais en face, le collectif et la domination physique des Sonics leur permettent de prendre l’avantage. Les Blazers s’inclinent en 6 matchs, malgré leur statut de favoris à leur propre succession.

C’est à partir de ce moment que le conte de fées entre la franchise et sa star arrive à sa fin. Estimant que les médecins sous-évaluent sa blessure au pied, Bill Walton entame un bras de fer avec Portland et décide de faire une croix sur toute la saison 1978-79 pour se soigner.

Bill Walton Blessure
Bill Walton, dans le vestiaire pendant un entraînement, en 1975. Photo : Fred Kaplan /Sports Illustrated via Getty Images

À l’été 1979, le pivot décide de retourner dans sa Californie natale. Il quitte l’Oregon et décide de signer aux San Diego Clippers. Fidèle à lui-même, il négocie d’ailleurs une clause dans son contrat lui garantissant d’obtenir huit billets pour chacun des concerts de Bruce Springsteen en ville, tous sold out. 

Mais ce retour aux sources est contrarié par les mêmes blessures qu’à Portland. Au cours de sa première saison, il ne joue que 14 matchs, toujours gêné par sa cheville. Les opérations se succèdent, mais rien n’y fait : le géant n’arrive définitivement plus à suivre la cadence infernale de la NBA.

Les dirigeants des Clippers essaient tant bien que mal de trouver des solutions, mais rien ne semble fonctionner. Même s’il ne joue qu’un seul match par semaine et qu’il reprend un régime carniste, Bill Walton continue d’enchaîner les blessures.

Entre le 11 mars 1980 et le 29 octobre 1982, Bill Walton ne joue aucun match, plombé par de multiples interventions au pied. Une fois en mesure de jouer, son retour ne rassure pas, que ce soit physiquement ou techniquement. Incapable de disputer plus de la moitié des rencontres, le niveau du pivot est loin de celui qu’il affichait quelques années plus tôt aux Blazers.

Bill Walton San Diego
Bill Walton, lors d’une interview à la Sports Arena de San Diego, en 1980. Photo : Peter Read Miller/Sports Illustrated via Getty Images

Avec 12 points, 9 rebonds, 3 passes et 2,3 contres de moyenne, son passage aux Clippers n’est pas mauvais statistiquement. Cependant, il n’arrive pas à faire passer un cap à son équipe. Les mauvais résultats et la situation financière de la franchise le poussent finalement à déménager à Los Angeles à l’été 1984. Une conclusion décevante.

« C’est mon plus grand échec en tant que professionnel de toute ma vie […] Quand tu échoues dans ta ville natale, c’est pire que ça, et j’aime ma ville natale (San Diego). Je souhaite que nous ayons une équipe NBA ici, et nous n’en avons pas à cause de moi. »

Bill Walton, à ESPN, en 2016

À Boston, la rédemption

À l’été 1985, Bill Walton, libre de tout contrat, se retrouve face à un choix difficile pour lui. Il y a moins de 10 ans, il était considéré comme l’un des meilleurs joueurs de la ligue et comme son avenir. Il est désormais perçu comme un joueur en bout de course, incapable de tenir debout.

Avec la fervente ambition de remporter un dernier titre, le pivot californien décide de contacter seulement deux franchises : les Celtics et les Lakers. Ces derniers refusent de s’attacher ses services, car Jerry West n’a pas confiance en la santé du pivot. Walton décide donc de contacter directement Red Auerbach, l’ancien coach de légende et actuel GM de Boston.

Voulant apporter de la profondeur à l’intérieur pour lutter contre Kareem Abdul-Jabbar et épauler Robert Parish ainsi que Kevin McHale, Auerbach voit d’un bon œil cette opportunité. Avecl’accord de son franchise player, Larry Bird, il décide de faire passer un test médical à Walton. Et finalement, en dépit de l’avis des médecins, le GM des Celtics décide de signer Walton, convaincu par la combativité de ce dernier. 

Bill Walton Boston Celtics
Kevin McHale, Robert Parish et Bill Walton, des Celtics, posent ensemble pour un portrait, en 1986. Photo : Walter Iooss Jr./ NBAE/ Getty Images

Walton le sait : cette signature représente sa dernière chance de remporter un titre. Il ne compte pas la laisser filer. Pour la première fois de sa carrière, il joue une saison complète (80 matchs), mais surtout, il accepte de sortir du banc — chose qui paraissait impossible pour un ancien MVP, demandez donc à Allen Iverson ce qu’il en pense.

Dans cet effectif où prime le collectif, Walton s’épanouit et retrouve le goût du basketball. Le jeu léché des Celtes convient à la perfection aux qualités de Walton qui ne peut plus dominer autant physiquement, mais qui s’appuie davantage sur sa grande intelligence de jeu pour impacter les rencontres. 

« J’ai été impressionné par le personnage de Bill Walton. Il pensait assez à moi pour s’assurer que j’étais à l’aise avec lui dans l’équipe. »

Robert Parish, au Boston Globe, en 2016 Robert Parish, Boston Globe (2016) 

Avec 67 victoires, Boston finit avec le meilleur bilan de la ligue. Walton est logiquement élu 6e homme de l’année avec ses 8 points, 7 rebonds, 2 passes et 1,3 contre en 19 minutes par match. Un trophée qui fait de lui le seul joueur de l’histoire à avoir remporté ce titre, celui de MVP de la saison régulière et celui de MVP des finales.

En Playoffs, les Celtics ne laissent aucune chance à la concurrence. L’équipe du Massachusetts remporte le titre contre les Lakers.

Cette bague, Bill Walton la célèbre comme s’il s’agissait de sa première. Le pivot, tenant enfin sa rédemption après tant d’épreuves, savoure. Si ses blessures ont eu raison de son corps, son esprit de compétition reste intact. Il profite donc de l’instant présent, conscient qu’il ne connaîtra peut-être plus jamais cette sensation.

La fin de sa carrière

En février 1990, après plusieurs opérations du pied pour tenter en vain de prolonger l’aventure, Bill Walton annonce sa retraite.

Âgé de 37 ans, celui qui n’a plus joué depuis trois ans et demi sait que malgré la carrière formidable qu’il a eue, il est passé à côté de quelque chose d’historique. Joueur phénoménal, il aurait dû se hisser au niveau de Kareem Abdul-Jabbar ou de Bill Russell.

Malheureusement, les qualités physiques qui le rendaient si unique et qui faisaient sa force ont eu raison de lui, l’empêchant de tutoyer les sommets alors même qu’il avait la tête dans les nuages. 

Après sa retraite, cet éternel amoureux du basket se lance dans les médias. Un nouvel univers, dans lequel ses envolées lyriques et ses hyperboles ravissent fans et observateurs. Mais ironie du sort, il annonce en novembre 2009 son départ d’ESPN à cause de douleurs au dos. 

Malgré seulement 468 matchs joués en 13 saisons, soit moins de la moitié des rencontres possibles, Bill Walton est intronisé au Hall Of Fame en 1993. Une récompense logique au vu de son talent, qu’il n’a pu totalement exploiter en raison des limites de son corps. L’histoire de Bill Walton est l’un des plus grands what if de l’histoire. Son cas est un parfait exemple du défi physique qu’impose la NBA à ses athlètes, une exigence qui ne laisse la place à aucune forme de faiblesse.

Joueur élégant, hors du commun, il faisait fantasmer tous les fans de la balle orange. Ce qui est sûr, c’est qu’en Serbie, les cassettes de Bill Walton ont fait le tour du pays ou, au moins, de la maison de Nikola Jokic. Le talent de ce personnage unique continue aujourd’hui de vivre à travers ses héritiers.

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