Dimanche 9 janvier marquait le retour sur les parquets d’un certain Klay Thompson, 941 nuits après sa rupture des ligaments croisés en Finales NBA. Un retour extrêmement médiatisé qui en a éclipsé un autre, tout aussi important pour la franchise du joueur concerné.
Cette soirée, elle était également la première de la saison pour Rui Hachimura, pièce majeure des Wizards depuis son arrivée à la capitale en 2019. La star japonaise retrouve enfin son jardin !
Rui Hachimura, rare satisfaction de ces deux dernières années à Washington, n’avait pas encore pris part à la moindre rencontre cette saison. C’était jusqu’à cette confrontation face au Magic, le 40e match des Sorciers dans cette régulière.
Son nouveau coach, Wes Unseld Jr, a fait démarrer l’ailier en douceur et sur le banc. Seulement 14 minutes sur le terrain, pour 6 points et 3 rebonds. « J’ai attendu ce moment », a-t-il affirmé après la rencontre, heureux de retrouver les parquets, symbole.de l’amélioration de son état psychologique.
Si Hachimura était absent des radars de la NBA depuis tout ce temps, cela s’explique par une blessure cachée. Cette blessure est mentale, un trouble difficile à comprendre et encore tabou dans le sport professionnel. Son cas de dépression met l’accent sur une thématique pourtant récurrente, occupant de plus en plus la sphère NBA grâce à des joueurs qui mettent des mots sur leurs maux.
Dans la tête d’un athlète compris par sa franchise
« J’ai dû prendre un peu de repos, mais je suis très heureux d’être de retour sur le terrain et de jouer avec ces gars », a-t-il assuré aux médias une fois son premier match de la saison terminé. Une déclaration qui laisse entrevoir la période sombre que le joueur a vécu ces derniers mois. Il a reçu le plein soutien de ses coéquipiers — qu’il ne connaît pas pour la plupart —, comme le rookie Corey Kispert et ses encouragements après de premiers tirs ratés.
Dans une victoire à Orlando, Rui a renoué avec la balle orange. Un « sentiment qui m’a manqué », a-t-il décrit avec émotion après la rencontre. Son retour n’a pas été très prolifique, mais l’important est ailleurs. Bien décidé à reprendre du service, il aura à cœur de retrouver ses standings de la saison dernière, 13,8 points et plus de 5 rebonds par match avec une place de titulaire indiscutable — plus difficile à aller chercher dans l’immédiat.
Le penchant progressiste de la NBA est une grande fierté pour cette qui évolue avec son temps. Toutefois, l’organisation et ses franchises sont davantage dans la réaction que dans l’action. C’est bien grâce aux joueurs que la parole s’est libérée. La ligue, l’institution en elle-même, ne fait pas figure de pionnière sur ces questions de santé mentale.
Pour autant, la NBA et ses organisations ont su répondre petit à petit aux besoins dans ce domaine. À travers son syndicat, la ligue veut préserver la santé mentale de ses acteurs. L’association des joueurs de la NBA a lancé un programme de santé mentale et de bien-être pour permettre aux joueurs un meilleur accès à des conseillers.
Ce n’est plus un tabou. Néanmoins, le nombre et les noms des joueurs qui ont eu besoin de services de conseillers et professionnels de la santé ne sont pas communiqués.
Le cas Rui Hachimura est d’autant plus délicat que l’on ne connaît pas vraiment la raison exacte de sa longue absence. Pour autant, il a toujours semblé soutenu par sa franchise, peu importe ce que cela pouvait engendrer pour lui comme pour son équipe.
Dans un moment pareil, il faut aussi bien noter l’importance d’un entourage et d’une organisation à l’écoute des joueurs. L’exemple de l’ailier des Wizards est le plus parlant. Wes Unseld Jr. a parfaitement compris les besoins du joueur et a attendu patiemment que Rui soit remis — sans brusquer ni accélérer le processus, à défaut de pénaliser le collectif.
La relation saine qu’il a nouée avec sa franchise n’existe pas partout. Pour rappel, Rui Hachimura ne s’était pas présenté au camp d’entraînement et n’avait par la suite pas donné signe de vie à son Front Office, son nouveau coach et ses coéquipiers pendant plusieurs semaines. Jusqu’à début novembre, il n’avait pas effectué le moindre entraînement collectif avec les Wizards, mais s’était simplement exercé individuellement, à l’écart de ses coéquipiers.
Le leader de l’équipe, Bradley Beal, n’a pas manqué de saluer avec positivité le retour du japonais dans le groupe : « Nous sommes très heureux qu’il soit de retour. Nous l’avons accueilli les bras ouverts ».
Le parallèle est presque obligatoire. Ben Simmons, lors de la pré-saison, avait déclaré qu’il n’était pas prêt mentalement pour faire un retour aux côtés des Sixers. Il s’entraîne à l’écart du groupe et est suivi psychologiquement. Dans son cas, on voit mal comment le joueur pourrait reporter un jour le maillot de Philadelphie. Bien plus que les problèmes de vestiaire, si Ben Simmons a des envies de départ, cela peut s’expliquer par un manque de motivation à la suite de trop hâtives et successives sorties de pistes en Playoffs. Quant à Rui Hachimura, le projet qui lui est proposé pourrait mieux lui convenir. Un rôle important dans un projet en pleine transition qui arrive à tenir le milieu de tableau.
En ce qui concerne Rui Hachimura, c’est plutôt le manque de motivation pour retrouver les terrains d’une manière générale qui l’a fait vaciller. Depuis ces treize ans, il n’avait jamais cessé de pratiquer ce sport. Seulement, même en faisant de sa passion son métier, un break semblait pour lui inévitable.
L’absence de Rui Hachimura, tout comme celle de Thomas Bryant, ne posait pas de problème aux Wizards pendant leur début de saison victorieux. Mais la donne a changé et la Maison-Blanche s’est a commencé à trembler à la mi-novembre. Le besoin se faisant sentir, la question d’un potentiel retour est revenue sur la table.
En décembre, les Wizards ont porté leur bilan à quatre succès pour huit revers. Des résultats qui ne s’expliquent pas par la seule absence de l’ailier japonais. À l’heure où le Covid regagne la ligue, la capitale n’a pas été épargnée et a notamment dû composer sans Bradley Beal, Spencer Dinwiddie, Kyle Kuzma ou Montrezl Harrell par moments. Cependant, l’indulgence ne dure qu’un temps.
Le Japonais avait repris les voyages avec son équipe en décembre, mais son retour a été freiné par un nouveau contretemps. Prêt à rejouer, le joueur a été mis à l’isolement — comme bon nombre de ses coéquipiers — dans le respect du protocole sanitaire de la ligue.
Sa réinsertion se fait par étape, comme a pu le sous-entendre Wes Unseld Jr. Au sein d’un effectif chamboulé depuis ses derniers matchs avec les Wizards, Rui Hachimura devra retrouver ses marques et sa place dans le collectif à la bataille pour les Playoffs.
Le poids de toute une communauté
Porte-drapeau du pays qui a accueilli les JO, Rui Hachimura n’a pas eu de répit une fois les Playoffs avec les Wizards terminés. Il a directement enchaîné avec une surexposition médiatique sur ses terres.
L’athlète, qui fait la couverture de NBA 2K22 dans son pays, a été le leader de sa sélection aux Jeux olympiques. Une pression énorme à l’âge de 23 ans, qu’il subit depuis quelque temps déjà.
En 2019, Hachimura est devenu le premier Japonais drafté en NBA, en 9e position. À 20 ans, il a été érigé en modèle, en symbole de réussite pour tout un pays.
Deux ans auparavant, lorsqu’il avait participé au Championnat du monde U19, il avait été l’éclaircie de la sélection nippone. Il avait brillé en réalisant plusieurs doubles-doubles à plus de 20 points et 10 rebonds. Et bien avant cela : le Championnat du monde U17 en 2014. Rui Hachimura avait terminé la compétition en tant que meilleur marqueur avec 22,6 points par match.
Qu’il s’agisse d’une fierté ou d’un fardeau, Rui Hachimura a en tout cas été exposé à un très jeune âge. Au même moment, il a dû partir (très) loin de chez lui et sortir de sa zone de confort. Rui a quitté son pays natal très tôt pour s’inscrire parmi les meilleurs basketteurs de la planète.
En 2016, il était parti jouer pour l’équipe universitaire de Gonzaga. En trois années avec les Bulldogs, il affichait des moyennes de 12,1 points, 4,4 rebonds, 0,8 passe décisive, 0,6 interception et 0,5 contre par match.
Un jeune homme est-il cependant prêt à assumer ces changements de vie aussi tôt dans sa construction ? Un changement de vie qui peut s’accompagner de pressions plurielles, de la part des médias, des supporters, de sa direction, même de ses propres coéquipiers.
Face à une telle charge mentale, le joueur a-t-il été convenablement entouré, suffisamment épaulé ? De plus, à un si jeune âge, est-on en mesure de faire les bons choix, par exemple accepter de se faire suivre dès son entrée dans la ligue par un médecin spécialisé ou un psychologue ? Rien n’est moins sûr.
Derrick Rose, dans son autobiographie, avait partagé ce sentiment. Devenu le plus jeune MVP de l’histoire en 2011, le Chicagoan avait mal vécu cette popularité internationale soudaine à la sortie de l’adolescence.
Plus qu’un basketteur, comme dirait l’autre, il est connu pour ses prises de position contre le racisme. Enfant issu du métissage — une mère japonaise et un père béninois — Rui Hachimura est engagé dans la lutte contre ce fléau qui n’a pas de frontières. « Un combat de tous les jours » pour ce jeune homme, qui relève une discrimination grandissante, notamment sur les réseaux sociaux, aux USA comme au Japon.
On ne pense pas directement aux effets pervers des réseaux sociaux. À l’heure où, dans le monde entier, chacun peut commenter en temps réel chaque fait et geste des NBAers, il est certain que les médias sociaux ont un impact immense sur la fatigue mentale des acteurs sportifs.
Les causes de troubles psychologiques sont multiples et les conséquences le sont aussi. Chaque cas est bien évidemment singulier. En d’autres termes, chaque joueur réagit à sa manière, ce qui rend l’accompagnement difficile et le chemin vers la guérison sinueux.
Malgré la forte médiatisation de ces stars, rappelons-nous qu’il s’agit avant tout d’êtres humains et d’athlètes professionnels. Être « plus qu’un joueur » relève du choix, et non de l’obligation. On ne devrait pas exiger d’un athlète autre chose qu’une performance. Ses problèmes personnels ne devraient alors pas poser un frein à sa carrière. Encore aujourd’hui, être trop transparent peut avoir un prix.
Rui Hachimura n’est évidemment pas un cas isolé. Au contraire, certaines stars de la NBA ont vécu ce genre de troubles dans des conditions similaires, mettant en péril leur bien-être et leurs performances.
L’un des premiers basketteurs à avoir fait parler de lui pour ses troubles psychologiques, c’est le fantasque Metta World Peace. À l’époque il n’était encore que Ron Artest. Il était accompagné par une thérapeute sans qui il n’aurait peut-être pas remporté de titre — il l’avait affirmé en conférence de presse après la victoire au Game 7 des Finales de 2010. Avant son passage aux Lakers, l’ailier avait côtoyé les Rockets ainsi que les Pacers, tout le monde s’en rappelle. Mais c’est dès ses premiers pas dans la ligue, chez les Bulls, qu’on lui avait proposé d’être médicalement suivi. Une proposition déjà très lucide de la part de sa franchise, mais qu’il avait finalement refusée.
Rui Hachimura est peut-être arrivé au terme de ce complexe passage. Ce n’est ni le premier ni le dernier à subir ce type de difficultés. Il y en a d’ailleurs plus qu’on ne le pense. Dans son cas, c’est son absence qui rend sa situation marquante.
Des Kevin Love ou DeMar Derozan s’étaient exprimés sur leur dépression sans pour autant quitter les terrains. L’avenir de celui que l’on a vu sourire en compagnie de ses coéquipiers semble bien plus radieux. Oui, le soleil se lève enfin pour le Japonais.