« À bien des égards, les agences dirigent la NBA », écrivait récemment Ethan Strauss, au beau milieu d’un article annonçant son départ de The Athletic. Touché par la justesse de beaucoup de ses mots, son papier m’a marqué de bien des manières. Seulement, une fois ma lecture terminée, c’est bien cette phrase, très précisément, qui me restait en tête.
Sans doute un peu provocatrice, cette formule m’a tout de suite fait penser à Rich Paul, à son agence Klutch Sports, et à son influence à travers la ligue. Elle m’a fait penser à la Creative Artists Agency — plus connue sous l’acronyme CAA — et à Leon Rose, un ancien agent mis à la tête de l’une des plus importantes franchises de la ligue. Après une courte réflexion, ce qui ressemblait au premier abord à une exagération a plutôt pris l’aspect d’un soupçon. Puis, de recherche en recherche, ce soupçon s’est progressivement transformé en un constat.
Restons rationnels. Il va de soi que les agences qui négocient les contrats des joueurs aient un impact sur la ligue, à leur échelle. Le problème, c’est que ces trois derniers mots – aussi importants soient-ils – ont perdu leur sens dans la NBA d’aujourd’hui. Le temps où les agences n’étaient que des agences n’est plus qu’un lointain souvenir. Depuis déjà longtemps, elles ont continué d’escalader au-delà de cette échelle pour s’installer sur le toît de la ligue.
Peut-on toutefois dire que ce sont elles qui la dirigent ? C’est sans doute un peu excessif. Mais il existe bel et bien une part de vérité dans cet excès. Nous savons trop peu de choses pour répondre à cette question avec précision. Comme pour les icebergs, la partie émergée ne représente assurément qu’une infime partie de la réalité.
Dans ce contexte, autorisons-nous à aller légèrement au-delà des faits. Laissons nous la liberté d’interpréter ceux-ci, et peut-être même d’évoquer certaines rumeurs. Puisqu’il nous est impossible de le lever, essayons d’apercevoir au travers du voile de mystère qui entoure ce business.
La CAA, l’éléphant dans la ligue
Véritable mastodonte, la Creative Artists Agency (CAA) est l’agence sportive la plus prolifique au monde d’après Forbes. Sous sa tutelle, 8,8 milliards de dollars de contrats, signés par des athlètes de de basket, baseball, football, foot US et hockey. En NBA, spécifiquement, ce sont leurs agents qui tirent le plus de profits du marché. Parmi les joueurs représentés : Chris Paul, Zion Williamson, Paul George, Devin Booker, Donovan Mitchell et Julius Randle. Voilà qui en dit déjà long sur le poids de la CAA en NBA.
Dans une ligue où l’argent et les stars sont rois, ceux qui encadrent les athlètes les plus convoités et qui tirent les ficelles pendant les négociations ont une grande partie du pouvoir entre leurs mains. Certaines signatures ou certains transferts peuvent complètement transformer le visage de ligue. Pour beaucoup de ces transactions, la CAA a son mot à dire. Leur parole fait souvent autorité dans la décision finale, que ce soit celle du joueur ou de la franchise. Le contrat de Chris Paul, qui touchera 30 millions de dollars à ses 39 ans dans une équipe prétendant au titre, est une parfaite illustration du rôle majeur que joue l’agence dans le paysage de la NBA, sans même dépasser sa fonction initiale.
Pourtant, l’influence de la CAA ne s’arrête pas là. Ce serait trop simple. L’agence s’est faite une place de choix dans les Front Offices de la ligue. Elle représente aujourd’hui plusieurs dirigeants, à l’image de Mark Cuban (propriétaire des Mavericks), Shawn Marks (GM des Nets) et Pat Riley (président du Heat). Des clients pas comme les autres qui contrôlent ouvertement une partie de la ligue – dans leur cas, en toute légitimité.
Seulement, l’agence dispose d’une telle importance qu’elle a même fini par placer l’un de ses agents à la tête d’une équipe, et pas n’importe laquelle : les Knicks. Le 2 mars 2020, c’est Leon Rose que la franchise nomme en tant que président des opérations basket.
Il n’y a rien d’étonnant dans cette décision. Rose n’est pas n’importe qui. Il a représenté de très grands joueurs, comme LeBron James, Carmelo Anthony, Chris Paul ou encore Allen Iverson. L’ancien agent connaît la ligue comme sa poche, et il semble tout à fait qualifié pour ce poste. D’ailleurs, il n’est pas le premier à faire le grand saut, la culture des agences était déjà ancrée dans les Front Offices de la NBA avant son arrivée. Bob Myers, aux Warriors, a montré que ce modèle était viable. Quant à Rob Pelinka, président des Lakers et ancien agent de Kobe Bryant, il est sans doute ce qu’il y a de plus proche du cas de Rose.
Puis, dans les coulisses, Rose s’était déjà amusé à monter une équipe en 2010 – alors que LeBron James, Dwyane Wade et Chris Bosh sont tous les trois représentés par la CAA -, lorsqu’il avait travaillé avec son collègue Henry Thomas pour réunir un Big Three iconique. Représentant du King, c’est lui qui a eu le privilège de négocier le contrat de James avec Miami et d’orchestrer “The Decision”. Sans la CAA pour faire le lien, qui sait si les Three Amigos auraient tout de même vu le jour ? 10 ans avant son arrivée à New York, Leon Rose était déjà une sorte de GM de l’ombre. Aujourd’hui, il travaille simplement à la lumière du jour.
Quitte à abandonner la subtilité, autant en profiter. Rose ne s’est pas gêné pour faire entrer une partie de ses anciens collaborateurs dans la franchise, notamment William Wesley, ancien consultant pour la même agence.
Au-delà de ses collègues, se sont également ses clients qui bénéficient de son influence. Tom Thibodeau, client de la CAA et coach des Knicks depuis l’arrivée de Rose à la tête de l’équipe, en est sans doute le meilleur exemple. Il n’est d’ailleurs pas le seul dans le coaching staff, vous vous en doutez. Et la connexion ne se fait pas uniquement dans ce sens, puisque le fils de Leon Rose, Sam, travaille actuellement pour l’ancienne agence de son père. A l’heure actuelle, il ne représente qu’un seul client – Usman Garuba -, mais c’est bien une preuve supplémentaire du fort lien qui unit le président des Knicks à son ancienne agence.
Depuis, les Knicks et la CAA sont intimement liés. A chaque Draft et à chaque Free Agency, il se dit que la franchise new-yorkaise jettera son dévolu sur un jeune athlète représenté par l’agence, ou qu’un de leur client leur fera une fleur. Parfois, ces rumeurs se confirment. A la Draft, les choix de deux clients de l’agence – Obi Toppin (8e choix en 2020) et Keon Johnson (21e choix en 2021) – interpellent logiquement. Cela ne veut pas dire qu’ils ont bénéficié d’un passe-droit. Avec les Knicks ou une autre équipe, ils seraient bien partis dans ces alentours. Toutefois, la sélection de deux joueurs représentés par la CAA en seulement deux Drafts est tout de même assez évocatrice des jeux de pouvoir qui ont lieu dans les coulisses du Madison Square Garden.
Dans ce contexte, la prolongation de contrat de Julius Randle – pour 117 millions de dollars sur 4 ans – apparaît sous un nouveau jour lorsque l’on sait que c’est la CAA qui s’est chargée des négociations.
Les médias ont des agents, eux aussi
En ce qui concerne la CAA, ce qui est le plus délicat et éventuellement le plus important, c’est le contrôle dont elle dispose sur les médias. C’est justement ce que Strauss, en tant que journaliste, dénonce dans son article en toute connaissance du milieu.
Aux Etats-Unis plus qu’ailleurs, la presse joue un rôle primordial dans le sport. Ils ne transmettent pas seulement l’information aux fans. Leurs opinions sont tout aussi contagieuses, et se répandent ensuite dans les gradins de toutes les salles de basket. Ils façonnent l’identité des joueurs et les exposent au grand public. Il existe de très bons joueurs qui ne sont pas des stars, car le statut de star ne dépend pas réellement du niveau de jeu. Il est question d’une reconnaissance et d’une exposition qui, la plupart du temps, relèvent de la sphère médiatique.
Au sein de cette sphère, ESPN est sans aucun doute l’entité la plus importante. Leader mondial du média sportif, le groupe recense 84 millions d’abonnés sur ses chaînes de télévision. Présents sous toutes les formes et sur toutes les plateformes avec ses nombreux programmes, qui sont l’œuvre de certains des journalistes sportifs les plus connus et les plus estimés du globe, l’agence dispose d’une crédibilité et d’une influence sans égal dans le monde du basketball.
Et les personnalités du groupe revêtent une telle importance, ils ont naturellement besoin d’être représentés par une agence. Pour beaucoup, cette agence est la CAA. C’est le cas de Stephen A Smith, l’un des visages de la chaîne et l’un des plus éminents représentants des médias américains.
Ça l’est également pour Rachel Nichols, qui présentait jusqu’à présent The Jump sur ESPN, ainsi que pour le célèbre Adrian Wojnarowski, toujours premier sur l’information. Impossible de se détourner de cette vérité lorsque le Woj affiche les agents de la CAA comme sources de ses “bombes”.
Comme dit le proverbe, il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier, à plus forte raison lorsqu’il est question de la poule aux œufs d’or. L’agence représente bien des personnalités majeures à travers d’autres médias. Parmi elles, on retrouve notamment Skip Bayless, qui présente Undisputed sur la Fox. Aux Etats-Unis, impossible de manquer les clients de la CAA lorsque l’on allume son poste de télé.
Ces personnalités, qu’elles travaillent pour ESPN ou une autre entreprise, ont un immense impact dans la ligue. Certains d’entre eux peuvent voter pour les récompenses de fin de saison – notamment le titre de Coach of the Year, récemment attribué à Thibodeau. Ces trophées jouent un rôle primordial dans le jugement des fans, ainsi que dans les négociations de contrat. Au-delà même de ces considérations, elles sont perçues comme des achèvements essentiels pour accéder au panthéon de la NBA. Impossible d’affirmer que la CAA est capable de faire balancer un tel vote, mais l’idée est séduisante.
Toutefois, d’autres suppositions semblent plus probables. Par exemple, on soupçonne logiquement certains journalistes de mener des interviews de complaisance avec les joueurs représentés par la même agence qu’eux. Après tout, c’est une chose plutôt commune dans le monde des médias, les bons amis aiment se faire des cadeaux. Il n’est pas non plus difficile d’imaginer des flatteries imméritées, des critiques adoucies et quelques délicats euphémismes à l’antenne lorsqu’il est question des acteurs de la ligue représentés par la CAA.
Nous ne disposons d’aucune preuve, mais les témoignages de Strauss – un autre membre de l’industrie – et les accusations répétées du grand public lorsque les médias se montrent tendres avec certains athlètes et équipes peuvent être perçus comme des indices convaincants. Au regard du contexte, tout porte à croire que ce mariage entre l’agence et le monde des médias n’a rien d’anodin.
Si la CAA influe réellement sur les groupes dans lesquels elle est bien installée, s’il existe bel et bien une connexion entre leurs clients ou leurs anciens agents – et il est difficile de croire le contraire –, il est alors impossible de le contester : dans certaines mesures, cette agence dirige la ligue. Par la force de son réseau, le pouvoir de la CAA est certainement bien plus grand que celui dont devrait disposer une agence au sein d’une association sportive. Ici, plus qu’une simple influence, parler de corruption prend tout son sens.
Rich Paul, le maître des poupées
Bien évidemment, la CAA n’est pas la seule agence à disposer d’une telle assise dans la ligue. Sinon, dire que « les agences dirigent la NBA », au pluriel, serait bien exagéré. Parmi les plus importantes, on retrouve Excel Sports Management ou encore Priority Sports & Entertainment, qui ont naturellement un certain poids.
Mais si une agence peut rivaliser avec l’exposition de la CAA, c’est bien Klutch Sports. Si ce n’est à travers LeBron James ou le transfert d’AD, ce sera à cause de l’affaire Nerlens Noel ou d’une autre. Tôt ou tard, tous les fans de NBA en entendent parler.
C’est essentiellement à travers Rich Paul que l’agence s’est imposée dans le milieu. 2e agent le plus important de la ligue avec un peu plus d’un milliard de dollars en contrats sous sa supervision, Paul est devenu une véritable référence. Et ça, il le doit avant tout à son principal client et associé, LeBron James.
James et Paul sont liés depuis 2002, date de leur rencontre à l’aéroport d’Akron – la ville natale du King. A ce moment-là, car le courant est si bien passé entre les deux hommes, une rencontre au premier abord tout à fait anodine a vite pris une ampleur démesurée. Dès sa Draft en 2003, Paul rejoignait le clan de James, qu’il ne connaissait alors que depuis un an.
Avant de devenir plus qu’un conseiller pour James et de passer au rang d’agent, Paul a d’abord appris le métier dans une entreprise plutôt réputée. Puisque les chiens ne font pas des chats, c’est à la CAA qu’il a fait ses classes, auprès de Leon Rose.
C’est un beau jour de 2012, déterminé à voler de ses propres ailes, que Paul a décidé de créer sa propre agence. Mais tout cela n’aurait sans doute pas été possible sans James, qui a permis à Klutch Sports d’obtenir une crédibilité immédiate. Toutefois, le King ne pouvait pas se contenter d’embarquer dans ce navire en tant que simple passager alors que la casquette de capitaine lui sied si bien. Avec James en tant que client, mais surtout en tant que fondateur, l’agence a immédiatement bénéficié d’un statut très particulier dans la ligue.
Tant dans son histoire que dans son mode de fonctionnement, le mot d’ordre de Klutch a toujours été “influence”. A l’origine, il était question de l’influence de James auprès des joueurs – ce qui a naturellement permis à l’agence de convaincre de nombreux clients. Puis par la grâce du King, Rich Paul est devenu une personnalité influente de la ligue à son tour. Et enfin, de fil en aiguille, l’agence dispose aujourd’hui d’une influence majeure sur la ligue. Tout comme la CAA, elle a désormais le droit à sa propre part du gâteau.
Comme son mentor avant lui, Paul est un maître du copinage. Il opère lui aussi à partir de la face cachée de la NBA. Tandis que Rose a orchestré le départ du King au Heat, son élève était le stratège derrière l’arrivée d’Anthony Davis aux Lakers.
Représentant de James et Davis, l’opportunité était trop belle pour cet agent ambitieux, qui a remué ciel et terre pour réunir ses deux poulains. D’après Isaac Chotiner du New Yorker, c’est même lui qui aurait convaincu l’intérieur de placer Los Angeles tout en haut de sa liste de destinations. Il a ensuite été à l’origine de la demande de transfert publique du Unibrow, et il aurait surtout fait comprendre aux autres équipes intéressées – notamment les Celtics – que son protégé ne re-signerait qu’aux Lakers. Tel un joueur d’échecs, Rich Paul a usé de toutes ses pièces pour servir son roi.
Difficile de reprocher quoi que ce soit à cet agent qui ne fait finalement que son travail. Aussi contestées soient-elles, ses méthodes ont servi ses clients de la meilleure des manières. C’est l’essentiel. Mais il faut toutefois réaliser l’importance qu’a eu Paul dans la gestion de ce dossier.
Du début à la fin, il a tenu les rênes pour guider son joueur et s’assurer qu’il arrive à bon port. Davis a choisi les Lakers, en grande partie à cause de Rich Paul. LeBron James et les Lakers l’ont adopté dans leur franchise, en grande partie à cause de Rich Paul. Aucune autre équipe n’a vraiment pu se positionner sur le dossier, en grande partie à cause de Rich Paul. En véritable maître des poupées, rien n’échappe à son contrôle.
Sans Rich Paul, les Lakers auraient-ils vraiment pu remporter le titre en 2020 ? C’est difficilement concevable au vu de l’importance de Davis dans cette campagne. Comme Leon Rose avant lui, les actions de Paul ont chamboulé l’histoire de la NBA à travers celle de James, l’une de ses figures emblématiques.
Aujourd’hui, son nouveau challenge serait de sortir Ben Simmons de Philadelphie. Bien que la situation soit très différente, Rich Paul pourrait à nouveau avoir l’occasion de modeler la ligue de ses propres mains.
Le côté obscur de Klutch Sports
L’influence de Klutch Sports n’est pas seulement celle de ses fondateurs. C’est aussi celle de la United Talent Agency, l’une des plus grandes agences de Los Angeles. En 2019, un investissement conséquent de la UTA dans l’entreprise la reclasse instantanément dans une nouvelle catégorie.
La différence la plus marquée à la suite de cette opération est logiquement de celle des moyens. Alors que Mark Termini – originaire de Cleveland et lié à LeBron James, lui aussi – arrive au terme de son contrat avec Klutch pour mener les négociations de contrats, la UTA offre un deuxième run à la jeune agence. C’est Omar Wilkes, d’Octagon, qui est démarché. Pas pour ses beaux yeux, mais plutôt pour son carnet d’adresses. Trae Young, Anthony Edwards, OG Anunoby et Cam Reddish rejoignent ainsi le groupe. Une montée en puissance significative.
Ce mariage avec la UTA permet à Klutch de rivaliser avec les plus grandes agences de la ligue sur le plan financier, mais pas seulement. Les noms de LeBron James, Anthony Davis, Ben Simmons, Draymond Green, John Wall ou de Zach LaVine – tous clients de Rich Paul – font figure de vitrine. Pendant ce temps, on retrouve dans le stock des clients de la UTA Daryl Morey (président des 76ers), Bob Myers (GM des Warriors) ou encore Chris Webber (futur Hall of Famer et personnalité médiatique de premier plan). Tout comme la CAA, Klutch Sports s’est construit un réseau qui dépasse largement celui des joueurs. Aucune autre agence en NBA ne peut faire face à ces deux géants sur ce tableau.
Tout cela, et même si ces informations ne sont pas nécessairement connues du grand public, constitue la version officielle de l’activité de l’agence. Officieusement, il se pourrait que Klutch Sports ait quelques atouts cachés et – surtout – un certain nombre de secrets.
Il est notamment question d’une connexion entre Klutch et Nike, qui vivent une relation plus ou moins ouverte. Depuis la fondation de son entreprise Adopt, avec quelques anciens de chez Nike, le lien entre Rich Paul et la marque au swoosh est clairement établi. Jusqu’ici, rien de scandaleux.
Dans le documentaire One & Done (2016), sur Ben Simmons et son parcours jusqu’à la Draft, cette relation semble cependant prendre une tournure malsaine. Malgré les efforts d’Adidas – qui se serait montré plus insistant que Nike et qui aurait fait des offres plus lucratives à l’Australien – et les conseils de sa famille, c’est bien Nike que Simmons choisit. Derrière ce choix, c’est bien évidemment Rich Paul qui tire les ficelles.
En s’arrangeant pour que ces histoires de négociations fuitent dans la presse, l’agent se serait servi d’Adidas pour trouver un meilleur accord avec Nike. Impossible de dire si ce choix est le résultat d’un mariage secret entre Klutch et Nike ou si l’agent pensait purement et simplement à l’avenir de son client. Toutefois, les soupçons sont de mise. Il n’y aurait rien d’étrange à ce qu’un lien naisse de la forte et longue relation de LeBron James avec son équipementier. Le futur de Zach LaVine, qui vient de rejoindre Klutch Sports alors que son contrat avec Adidas expire en novembre, nous en dira certainement plus.
Bien sûr, le choix d’un équipementier a une réelle importance dans la carrière d’un athlète. Cela a parfois un grand impact sur son image, et toujours sur ses gains. A travers sa communication, Nike a contribué à faire de certains joueurs de véritables icônes. Mais le copinage entre une agence et une marque de chaussures n’a rien d’alarmant.
Si on veut réellement mettre le doigt sur la part d’obscurité de Klutch Sports, ce n’est pas sur ces choses-là qu’il faut se concentrer, mais plutôt sur leur recrutement. En mai 2021, Rich Paul et son groupe ont mis la main sur un agent très spécial : Andy Miller. C’est là que l’affaire s’assombrit.
Ce qu’il faut savoir de Miller, c’est avant tout qu’il s’agissait d’un agent brillant. Au cours de sa grande carrière, il a négocié plus de 2 milliards de dollars de contrats en travaillant avec Kevin Garnett, Chauncey Billups, Kyle Lowry et bien d’autres. Toujours dans le haut du tableau, jamais Miller n’a faibli, jusqu’à sa chute.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le grand patron d’ASM Sports n’a pas fait faillite. Il n’a pas perdu ses clients ou pris une retraite bien méritée. Il a fallu une enquête et un raid du FBI pour mettre un terme à son activité. Des mesures inédites, prises par le ministère de la justice pour démenteler un “marché noir” du basket universitaire, géré par Miller. Accusé d’avoir corrompu le système en payant de jeunes joueurs pour les pousser à rejoindre certaines universités, en 2017, l’agent a fini par renoncer à sa certification et quitter le business par la petite porte.
Sorti indemne de cette histoire, il n’a pas mis si longtemps à rebondir. On se serait en tout cas attendu à plus long exil pour l’auteur d’une affaire qui a tant secoué la NCAA. Interdit de représenter les joueurs de la grande ligue, ce sont les coachs et dirigeants dont il prend désormais soin chez Klutch – du moins, ouvertement. Homme à scandales, il est notamment derrière la signature de Chauncey Billups à Portland.
Il est cependant difficile d’imaginer un agent si réputé et si expérimenté se limiter à une tâche si “modeste”. Avec de telles sommes et de tels enjeux, il n’y aurait rien d’étonnant à ce que Miller prenne secrètement en main une partie des affaires de Klutch Sports. Plusieurs insiders à travers la ligue pensent justement qu’Andy Miller est le véritable cerveau de l’agence depuis son arrivée, et que le pouvoir lui a été confié. Quoiqu’il en soit réellement, il serait certainement trop naïf d’imaginer qu’il n’a aucune influence sur le travail de Klutch avec les athlètes. Miller est un atout de choix pour une organisation qui base son modèle sur l’influence, mais aussi d’une raison supplémentaire de douter de l’intégrité de la structure.
Aujourd’hui, Miller est devenu célèbre à cause de l’esclandre qu’il a provoqué dans le circuit universitaire. En l’occurrence, c’est à juste titre. Miller est un tricheur invétéré qui, comme Rich Paul, aime les raccourcis. Avant cela, il était déjà connu dans le milieu comme un compétiteur déloyal, un serpent qui avait tendance à voler les clients de ses concurrents et à s’attaquer à leurs agences. Ses employés avaient pour mission d’infiltrer le groupe d’amis ou la famille d’un joueur, à se répandre comme du venin, pour tisser des liens, établir le contact. Dans son nouveau jardin, est-il vraiment capable de se tenir éloigné du fruit défendu ?
Tout porte à croire que Klutch Sports, à l’image de ses leaders, n’agit pas toujours avec transparence. De nombreux indices nous permettent de dresser le portrait d’une agence qui marche sur le fil de la légalité et qui outrepasse largement ses fonctions. Tout cela sans compter la partie véritablement immergée de l’iceberg, peut-être encore plus sombre. Dans l’ombre, Klutch Sports est sans doute l’un des acteurs les plus importants de la grande ligue, au même titre que son rival la CAA.
Pendant longtemps, les agences n’ont été rien de plus que ce qu’elles prétendaient. Des négociateurs, des conseillers, des représentants… au départ, il était question de gérer la carrière des athlètes. Rien de plus. Entre-temps, des liens plus ou moins subtils ont vu le jour entre les franchises et les agences, les médias, les marques et bien plus encore. Aujourd’hui, même s’il s’agit souvent de rumeurs ou de spéculations, il n’est pas très risqué de l’affirmer : à bien des égards, les agences dirigent la NBA.
Photo de couverture : Photo by Andrew D. Bernstein / NBAE via Getty Images