Tel un phénix, Nicolas Batum renaît de ses cendres. Raillé après ses mésaventures à Charlotte, le néo-Clipper s’impose dans un cadre d’un collectif prétendant au titre. À 32 ans, après une véritable descente aux enfers sous les ordres de James Borrego, le Français revit dans la cité des anges. Analyse d’un comeback saisissant.
La descente aux enfers
Les médisants, Batum ne les écoute pas, mais il les voit. Il entend leurs paroles. À Charlotte, le Français ne pouvait les contredire. L’argument de son contrat astronomique pesait contre lui. Signés le 1er juillet 2016, ses 120 millions sur cinq ans — négociés au gré d’un premier exercice de qualité avec les Hornets — l’érigeaient en élément prépondérant de l’effectif aux côtés de Kemba Walker. Les deux coéquipiers sortaient d’un premier tour des Playoffs encourageant face au Heat (4-3 en 2015-16), poussant Michael Jordan à prolonger le Normand. Malheureusement, les Hornets n’accèderont plus au niveau supérieur après sa signature.
Poisse, déception… les déboires de Batum sous la tunique turquoise sont nombreux. Sa régression pendant ses cinq saisons en Caroline du Nord se ressent à la simple lecture de ses statistiques :
- 2015-16 : 14,9 points, 6,1 rebonds et 5,8 passes en 35 minutes (70 matchs)
- 2016-17 : 15,1 points, 6,2 rebonds et 5,9 passes en 34 minutes (77 matchs)
- 2017-18 : 11,6 points, 4,8 rebonds et 5,5 passes en 31 minutes (64 matchs)
- 2018-19 : 9,3 points, 5,2 rebonds et 3,3 passes en 31 minutes (75 matchs)
- 2019-20 : 3,6 points, 4,5 rebonds et 3 passes en 23 minutes (22 matchs).
Sa production décline considérablement, et Nicolas Batum affiche un visage déconcertant sur le parquet. Moins impliqué, pas à sa place, mal à l’aise sur le terrain. Certes, jamais il ne répondra à un rôle de scorer pur ni de leader charismatique capable de prendre le jeu à son compte lorsque la situation l’impose. Mais le français se montre toujours utile, intelligent, altruiste et dévoué. Role player unanimement respecté, sa capacité à jouer juste et son profil de couteau suisse représentent des atouts de poids pour combler les failles d’un collectif.
Pas cette fois. Pour ses derniers épisodes à Charlotte, Batum dépérit sous les ordres d’un coach qui l’utilise de manière frivole. En pleine reconstruction, les Hornets misent sur les jeunes et n’offrent rien à un vétéran dont le contrat empoisonne la franchise.
Dans cette situation, fidèle à lui-même, Batum fait preuve de professionnalisme : « Je n’ai pas envie d’être un connard, je n’ai pas envie d’être égoïste. Je ne veux pas être le gars qui dit “Le coach craint. Ne l’écoute pas. Tire 25 fois par match.” Non, je ne vais pas faire ça. Je n’ai pas besoin de ça. Eux non plus », regrette-t-il dans un entretien accordé au Charlotte Observer. C’est un groupe de jeune. Je serai fier s’ils atteignent les Playoffs dans un an ou deux. Cette franchise a un brillant avenir, mais je ne pense pas que j’y prendrai part. Je pourrai bien mieux jouer, c’est sûr. Je n’ai pas répondu aux attentes les dernières années. Je le comprends. Je le sais. Je m’en excuse auprès des gens d’ici, car ils ont placé beaucoup d’attentes en moi, et ça ne s’est pas bien passé. Ça n’a pas marché. »
Frustré, « enfermé au placard », l’ailier devient spectateur de ses coéquipiers et peine à trouver sa place dans le projet. Jamais il n’a semblé aussi bas durant sa carrière. Ce marasme affecte radicalement son image auprès des observateurs.

À tel point que lorsque les Hornets le libèrent de son contrat le 21 novembre 2020, certains se demandent : Batum trouvera-t-il preneur ? Aucun doute pour le concerné. Huit jours plus tard, après de nombreuses conversations téléphoniques avec divers exécutifs, coachs et joueurs de la ligue, il se lance un nouveau défi en s’engageant avec les Clippers pour un an et 2,5 millions de dollars.
Très vite, il subit les railleries des soucieux le jugeant terminé pour la NBA, encore plus pour un prétendant au titre. Décrié, le Français perçoit son départ des Hornets comme une bénédiction. Il semble prêt à tourner la page, ouvrir un nouveau chapitre de sa carrière. Et surtout enterrer les désillusions en prenant du plaisir.
« J’ai l’impression qu’on a résumé toute ma carrière sur 18 mois, alors que ça fait douze ans que je joue. Et ça fait onze ans que je suis starter. Je ne suis pas Hall of Famer, mais ma carrière n’est pas non plus pourrie », confie Batum au micro de First Team. « J’ai 150 sélections en Équipe de France, 5 médailles, je n’ai rien à prouver. On me dit “ouais, tu vas fermer des bouches”, mais je vais fermer des bouches à personne. Je m’en fiche de tout ça. Je n’ai rien à prouver à qui que ce soit. J’ai 32 ans, ça fait 15 ans que je suis professionnel, tout ce que je veux c’est prendre du plaisir en jouant au basket. »
Bien qu’il n’y accorde aucune importance, mettre un terme aux doutes constituait une priorité pour son image. Des doutes qui lui ont parfois traversé l’esprit, malgré un mental solide. « Tu rentres dans une psychose. Tu te dis “peut-être que c’est fini pour moi”. Et puis tu as la réalité des choses qui te bouscule, ça te rebooste ! »
« La réalité des choses », autrement dit les sollicitations du gratin de la ligue. Nets, Warriors, Bucks, Clippers… Tous ont toqué à la porte du Français. « Ce qui a fait la différence, c’est qu’ils (les Clippers) m’ont tous appelé. J’ai eu le président, le GM, le coach, les deux stars, le soir même de l’annonce de ma libération. Et puis les Clippers ont l’esprit de revanche à cause de la saison passée ». Un esprit de revanche qui lui colle à la peau.
Nouvelle étape
Aux Clippers, Nicolas Batum redécouvre le plaisir de jouer. Dans une équipe ambitieuse, vexée de son humiliation face aux Nuggets la saison passée, le Français s’intègre parfaitement. Son aura apaise un collectif bourré d’egos. L’année dernière, la discorde qui régnait le vestiaire a empêché la franchise d’atteindre ses objectifs. Les joueurs, incapables de mettre en avant le bien du collectif, se projetaient face aux Lakers en finales de conférence sans même réaliser les efforts nécessaires pour y parvenir. En se surestimant, en grillant les étapes, sans créer d’alchimie, la défaite face à Denver semblait inévitable. Même en menant 3-1 avec 17 points d’avance dans le cinquième match de la série.
L’acquisition d’un joueur capable de créer du liant, de se mettre en retrait et de faire les efforts pour la cohésion du groupe apparaît telle une évidence. Un rôle rêvé. Les Clippers avaient besoin de Nicolas Batum autant que lui d’une franchise compétitive. Attentif aux besoins de l’équipe, le Normand sait où il met les pieds et comprend d’emblée les attentes placées en lui.

Dans la foulée de sa signature, la ribambelle de talent qui l’entoure nous empêche d’imaginer un autre statut que celui de remplaçant. Et pourtant, au All-Star Break, Batum s’impose en pièce fondamentale d’un effectif paré pour le titre. Avec près de 30 minutes de moyenne, l’ailier débute et termine tous les matchs. Costaud défensivement, prêt en attaque, il joue également un rôle de gestionnaire par séquence et se montre décisif en fin de rencontre. Létal, Batman devient une arme fiable à trois points, avec 44 % de réussite sur 4,4 tentatives par match, ainsi que le plus grand nombre de points de la ligue depuis le corner gauche.
Batum retrouve son basket et évolue à un niveau dépassant les attentes : 9 points, 4,8 rebonds, 2,4 passes et 1,2 interception par match à 47 % au tir et 44 % de loin. Plus important encore, il s’établit en véritable cadre du vestiaire. « Nicolas est le premier à prendre la parole lorsque l’équipe a besoin de faire un ajustement », affirme Tyronn Lue, son coach. Une expérience, un leadership et un sang-froid qu’il insuffle constamment en ses coéquipiers. Pour le moment, sa franchise s’installe sur le podium de l’Ouest avec un bilan de 24 victoires pour 14 défaites, ainsi qu’un visage de contender plus crédible que l’an passé.
Un sixième Français champion NBA ?
Dans la lignée de Tony Parker, Boris Diaw Ian Mahinmi, Rodrigue Beaubois et Ronny Turiaf, Nicolas Batum peut-il devenir le sixième français à décrocher une bague de champion ?
D’abord, il serait bien hâtif de répondre avant même la seconde partie de la saison. Toutefois, sans lancer de pronostic hasardeux, il faut bien reconnaître que Batum et ses Clippers ont tout d’un futur champion. Avec un effectif profond, pétri de talent et dévoué pour la victoire, rien ne semble leur manquer pour viser le sommet. Capables de séquences défensives impressionnantes et difficilement arrêtables en attaque, les joueurs paraissent concentrés, soudés et sûrs de leurs forces.
De manière certaine, Nicolas Batum sera envoyé en mission défensive sur les stars adverses pour l’ensemble de la campagne de Playoffs. Afin de libérer Paul George et Kawhi Leonard, il sera chargé de gêner du mieux qu’il peut LeBron James, Donovan Mitchell, Devin Booker, Luka Doncic… et pourquoi pas en finale les mastodontes de l’Est. Potentiellement Giannis Antetokounmpo, Kevin Durant ou encore Jayson Tatum.
Mais pour l’heure, les Clippers doivent ôter de leur tête le syndrome des Lakers, du titre et ne penser qu’à enchaîner les étapes une par une. Continuer à bâtir une cohésion d’équipe, des automatismes sur le terrain. Rien ne sert de s’imaginer champion lorsque des Nuggets ou Blazers vigoureux représentent un obstacle en demi-finale de conférence. Dans le vestiaire, Nicolas Batum le sait. Il jouera un rôle essentiel dans la non-reproduction des erreurs du passé. Son calme et sa sagesse seront primordiaux.
Et quand bien même Nico ne décroche pas de bague de champion, sa victoire demeure cinglante. Le champion d’Europe 2013 avec les Bleus passe d’un statut de joueur ignoré et moqué à celui d’un role-player dont l’impact dépasse largement les statistiques. Il retrouve la joie de la compétition, du haut niveau, le plaisir de jouer, de se sentir concerné.
Par-dessus tout, il s’épanouit dans sa vie personnelle : Batum est devenu Papa d’un deuxième formidable enfant le 23 janvier dernier. Tout pour lui donner le sourire et la force d’atteindre le sommet.
Couverture : Mike Ehrmann / Getty Images